Le quotidien toujours très difficile des Vénézuéliens
Entretien réalisé par Hélène Destombes – Cité du Vatican
À peine quelques milliers de personnes ont répondu samedi dernier à l’appel du président du Parlement vénézuélien, Juan Guaido, à manifester contre le pouvoir. À Caracas, la mobilisation a paru bien faible au regard des rassemblements de masse du début de l’année, quand le jeune opposant à Nicolas Maduro, le président chaviste, s’était proclamé chef de l’État par intérim et avait été reconnu par une cinquantaine de gouvernements étrangers, au premier rang desquels les États-Unis.
Depuis, le face-à-face entre les chavistes et leurs opposants demeure sans que le rapport de force n’évolue. «Nous n’allons pas fléchir, nous n’allons pas flancher» a toutefois lancé Juan Guaido à ses soutiens. La Bolivie est dans tous les esprits et le président du Parlement ne fait pas exception : la Bolivie «a obtenu sa liberté grâce à l’union de toutes ses forces» a-t-il déclaré. La manifestation de samedi est certes la plus importante depuis celle du 1er mai, mais elle n’a pas atteint l’ampleur de la contestation du début d’année.
Évolutions limitées
Sur le plan économique et social, la situation est toujours très délicate pour la population. Selon le FMI, le Fonds monétaire international, l’inflation devrait atteindre cette année les 200 000%. Les coupures de courant sont quotidiennes en province et les pénuries de médicaments et d’essence sont très fréquentes. Seules les personnes possédant des dollars peuvent se nourrir normalement et se soigner.
Le père Georges Engel, curé de la paroisse Notre-Dame-de-l’Assomption à Caracas, est retourné au Venezuela après dix mois passés en Europe. Il note des évolutions : «les conditions de vie me semblent améliorées entre guillemets par rapport à il y a dix mois. On peut trouver à peu près de tout dans les magasins mais les gens ne peuvent pas acheter sauf ceux qui ont des dollars» raconte-t-il. Ces personnes, ce sont celles dont un proche a émigré à l’étranger et qui a la capacité d’envoyer un peu d’argent au pays. Car le salaire moyen reste très bas : environ 14 dollars par mois. Malgré l’augmentation du salaire minimum décidée par Nicolas Maduro, le quotidien des Vénézuéliens demeure très difficile.
Les conditions de vie me semblent améliorées, entre guillemets, par rapport à ce que j’ai connu il y a dix mois. J’ai été surpris de voir que l’on pouvait trouver à peu près de tout dans les magasins. Mais les gens ne peuvent pas acheter. Ne peuvent acheter que ceux qui ont des dollars, c’est-à-dire ceux qui ont de la famille partie à l’étranger pour travailler, et qui peut envoyer des dollars. Le salaire moyen est de quatorze dollars par mois, les gens ne peuvent rien acheter.
De nombreux produits sont disponibles sur le marché, mais en dollars…
Tout est indiqué en dollars, tout est évalué en dollars. On trouve de tout dans les magasins. Il y a maintenant dans Caracas une multitude de petits supermarchés qu’on appelle “bodegones”. Ils proposent des produits importés que les gens - qui ont des dollars bien sûr - peuvent acheter.
Il y a donc toujours une profonde crise alimentaire, également des pénuries en médicaments ?
Il y a des médicaments mais les gens ne peuvent pas les acheter. Il y a une crise alimentaire très forte, bien sûr. La paroisse de Montalbán, à l’est de Caracas, organise tous les jours un repas. Quatre-vingt repas sont donnés tous les jours à des gens qui n’ont rien, qui ne peuvent pas manger. Un fossé se creuse chaque jour entre ceux qui ont de la famille à l’étranger, et qui peuvent bénéficier des envois de dollars, et ceux qui n’ont rien du tout.
Le président Maduro a augmenté le mois dernier le salaire minimum de façon considérable, avec quelles conséquences ?
Il a augmenté le revenu minimum d’un seul coup de trois-cent soixante pour cent alors, bien sûr, les prix augmentent. Et le dollar augmente tous les jours.
Au niveau sécuritaire, la présence de la police et des militaires est-elle toujours aussi importante ?
Ça m’est apparu fortement à l’aéroport de Caracas: alors que par le passé la force armée et les policiers étaient omniprésents, à ma grande surprise quand je suis arrivé il y a une semaine, j’ai vu que les policiers et les militaires étaient quasiment inexistants. Ça a été ma première grande surprise. De même les formalités douanières, les formalités administratives étaient tout à fait simplifiées. Je pense que le gouvernement essaie de donner le change, de donner un aperçu favorable.
La situation en Bolivie, après la démission du président Evo Morales, est suivie de très près au Venezuela, comment est-elle perçue ?
Comme une espérance ! Les gens parlent beaucoup, justement, de cette démission du président de Bolivie. La situation est très différente entre la Bolivie et le Venezuela. Comme le disait un commentateur récemment à la radio, les militaires vénézuéliens sont très fortement impliqués avec le régime, à la différence des militaires de Bolivie qui ne bénéficient pas des mêmes avantages.
Vous avez le sentiment que la crise au Venezuela est aujourd’hui une crise oubliée, qu’attendez-vous des pays européens ?
Il est plus important que jamais de faire en sorte que nos pays développés, nos pays européens soutiennent concrètement, aussi bien au plan politique qu’au plan humanitaire, le Venezuela. C’est vrai qu’on en parle beaucoup moins aujourd’hui en Europe. J’ai été surpris de voir que tout ce qui se passe au Venezuela n’est plus à la Une, et pourtant la situation est plus que jamais critique.
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