Mikhaïl Gorbatchev au Vatican, un tournant dans l’histoire de l’Europe
Le 30e anniversaire de la chute du mur de Berlin a marqué l’actualité ces dernières semaines. Ces jours-ci, un autre anniversaire nous ramène au souvenir de cet automne 1989 marqué par d’intenses bouleversements en Europe de l’Est.
Il y a tout juste 30 ans, le 1er décembre 1989, le Pape venu de Pologne, Jean-Paul II, recevait au Vatican le secrétaire général du Parti Communiste d’Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev. Cette image inimaginable deux ou trois ans auparavant avait été rendue possible par les profonds bouleversements engagés par le leader soviétique, qui avait pris la décision de renoncer au principe de la «souveraineté limitée» en vigueur depuis la fin de la Seconde guerre mondiale.
La fin de la tutelle soviétique sur l'Europe centrale et orientale
Alors que les révoltes de Berlin-Est en 1953, de Budapest en 1956 ou encore de Prague en 1968 avaient été réprimées dans la violence, Gorbatchev avait fait le choix de laisser les populations d’Europe centrale choisir la forme de gouvernement qu’elles souhaitaient, hors de toute ingérence de l’Armée rouge. Ce positionnement inédit du leader soviétique lui avait valu l’estime du Pape, car il faisait sauter le principal verrou à la liberté religieuse et à la démocratisation auxquelles aspiraient la majorité des peuples d’Europe centrale, à commencer par la Pologne où le Pape soutenait personnellement, depuis son élection, le combat de Solidarnosc contre le totalitarisme communiste.
La transition démocratique en Pologne fut menée sans heurts grâce à la bonne entente entre le Saint-Siège, l'épiscopat polonais, la dissidence intellectuelle (y compris avec des figures de la gauche laïque comme Bronislaw Geremek et Adam Michnik), la dissidence ouvrière et syndicale autour de Lech Walesa et de Solidarnosc, mais aussi le pouvoir sortant, sous influence de la politique de perestroïka menée par l'Union soviétique. Le général Jaruzelski avait en effet une sensibilité plus proche du pragmatisme de Gorbatchev que certains de ses homologues du bloc de l'Est, comme l'Est-Allemand Erich Honecker, renversé pacifiquement dans le cadre d'une procédure interne à son parti, ou le Roumain Nicolae Ceaucescu, exécuté avec son épouse en décembre 1989, dans le chaos d'une révolution qui avait pris des allures de guerre civile.
Une convergence paradoxale et progressive avec le Vatican
Le souci de Jean-Paul II était naturellement d'encourager une évolution pacifique, sans humilier ses adversaires idéologiques, et en faisant en sorte que la continuité de l'État soit assurée. Le réalisme pragmatique de Gorbatchev fut donc un atout pour développer cette pensée stratégique et encourager ces transformations, même si en URSS même, à l'exception de la Lituanie et d'une partie de l'Ukraine, l'Église catholique pesait bien peu face à l'Église orthodoxe et à l'athéisme. Mais la stature internationale de Jean-Paul II poussa Gorbatchev à se tourner vers le Vatican, un allié nécessaire dans la construction de la «Maison commune européenne» qu'il appelait de ses voeux.
Lors de son arrivée au pouvoir, la politique d'ouverture de Mikhaïl Gorbatchev était pourtant loin d'être une évidence. Proche de l'ancien directeur du KGB Youri Andropov, qui avait dirigé le Parti communiste d'URSS de 1982 à 1984, Gorbatchev apparaissait comme un apparatchik relativement classique, ayant fait ses armes essentiellement agricole. Seul son relativement jeune âge (54 ans en 1985) et le charisme de son épouse Raïssa, une sociologue qui avait développé une culture littéraire et linguistique très ouverte, le différenciaient des autres dirigeants communistes. De 1985 à 1988, année du Millénaire de la Russie chrétienne, trois années furent nécessaires pour que l'évolution idéologique du leader de l'URSS le pousse à se tourner vers le Pape.
Le journaliste Bernard Lecomte, auteur de deux biographies de référence de Gorbatchev et de Jean-Paul II, sur lequel il a également écrit le livre Le Pape qui a vaincu le communisme, revient sur ce rapprochement étonnant entre deux hommes qu’a priori tout opposait.
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