Haïti: l’Église se prépare à affronter le covid-19
Entretien réalisé par Marie Duhamel – Cité du Vatican
Sur l'île d'Haïti, le virus est apparu le 19 mars dernier. Depuis, 21 cas de covid-19 ont officiellement identifiés sur l'ensemble du territoire, l’un d’eux est décédé dimanche. L’homme de 55 ans souffrait de diabète et d'hypertension, mais plus de la moitié des malades diagnostiqués sont âgés de moins de 45 ans dans ce pays démographiquement jeune.
Dès l'apparition de l'épidémie, le gouvernement a annoncé des mesures drastiques pour contenir sa propagation. Les rassemblements de plus de 10 personnes sont interdits. La population a bien du mal à respecter les interdits, car la grande majorité des habitants dépend de l'économie informelle pour survivre au jour le jour.
Concernant l’Église, les lieux de culte ont été fermés. Des messes en tout petit comité, avec une distance de sécurité respectée, sont célébrées sur le parvis de chapelles dans les zones aérées, explique le père Richard Frechette, un passionniste américain.
Orphelinat en quarantaine; écoles fermées
Au contact des malades du Covid-19, le père Rick ne sera rendra dimanche prochain à l’orphelinat de l’association «Nos petits frères et sœurs» pour célébrer la messe de Pâques. L’établissement est en quarantaine. Aucun des 600 enfants ne peut en sortir et personne n’y rentre, explique le passionniste de 67 ans qui fonda l’antenne haïtienne de l’association en 1987.
Les écoles de la fondation Saint-Luc, instituée en 1999 pour garantir l’insertion des plus pauvres, ont fermées. On réfléchit à des classes de 9 élèves pour respecter les règles en vigueur.
Fabrication de masques
Comme ailleurs, le matériel de protection médical fait cruellement défaut. La Fondation Saint-Luc s’active. L’atelier de couture de Francisville a produit 30 000 masques avec du matériel envoyé d’Italie. Soutenu par la Fondation Francesca Rava, le centre de formation poursuit sa production de pain et de pâtes, et même l’accélère. L’agriculture et l’élevage de poissons tilapias va également s’intensifier, explique le père Rick dans une lettre adressée à la fondation italienne. Si les programmes contre la malnutrition sont fermés, la distribution d’aide aux pauvres des bidonvilles continuera, ainsi que la distribution d’eau.
Face au covid-19, les hôpitaux se sont préparés au mieux. A l’hôpital familial Saint-Luc, qui a accueilli 15 personnes contaminées, les contrôles d’entrée ont été amplifiés, et le nombre de lits augmentés. Dans la chapelle de l’hôpital pédiatrique Saint Damien à Tabarre, près de la capitale, le père Rick a allumé une bougie fabriquée avec la cire de leurs abeilles. Le feu restera allumé jusqu’à la fin de l’épidémie.
Retranscription de notre entretien avec le père Rick
Quelles craintes sont exprimées par les Haïtiens, adultes ou enfants, vis-à-vis du covid-19?
Les nouvelles qui nous parviennent de l’extérieur sont terribles concernant le nombre de contaminations. On ne met pas l’accent sur les 80% de cas de guérison, mais sur l’aggravation rapide de la maladie, sur les morts et les funérailles solitaires. Cela provoque une panique absolue dans l’esprit des gens.
Il y a aussi une peur d’être stigmatisé en cas de maladie ; une peur de ce qu’il pourrait arriver si les gens apprennent que vous êtes malades ou pensent que vous l’êtes parce que des mots hostiles ont déjà été prononcés contre des centres qui ont dit qu’ils accueilleraient les malades du coronavirus et des hostilités contre ceux qui ont été malades. Donc il y a une peur généralisée et elle crée beaucoup d’angoisses dans le pays
Quelles mesures sont mises en place actuellement pour freiner la propagation du virus?
Le gouvernement haïtien a mis en place des mesures que vous avez vues dans de nombreux pays : les frontières sont fermées, les aéroports sont fermés, de nombreux business sont fermés. Les gens sont appelés à rester chez eux et à garder des distances sociales de sécurité. La mise en place de tout cela est très difficile dans une économie qui était déjà désastreuse…une économie où le coût de la vie est déjà élevé pour des personnes qui n’ont quasiment aucun revenu.
Juste pour donner un exemple, ma sœur qui vit aux Etats- Unis et qui est confinée, mange du saumon ou de l’espadon tous les soirs et joue au scrabble. Mais ici, quelqu’un qui est confiné n’a pas la possibilité de se rendre dans la rue. Or elle a besoin de gagner de l’argent quotidiennement pour vivre au jour le jour. Cela revient à être assis tout seul avec ses enfants en ayant faim et en se préoccupant du jour suivant. Donc je pense que le mesures sont plus faciles pour les personnes qui ont un peu d’argent de côté, que pour des personnes qui sont déjà en panique à gérer le quotidien. C’est la raison pour laquelle, c’est difficile d’appliquer les mesures prises.
De quoi disposez-vous aujourd’hui, et comment vous préparez-vous à faire face, au niveau sanitaire et alimentaire?
Les dispositions que nous avons prises pour nous protéger contre le virus et pour aider sont vastes. On a réduit les activités de notre hôpital à l’essentiel. Cela veut dire que le personnel soignant a réuni les personnes venues pour des problèmes mineurs dans des hôpitaux extérieurs. On a aussi réduit le nombre de soignants. Dans notre orphelinat, les enfants sont en quarantaine : personne ne sort et personne ne rentre. On ne peut pas faire ça pour notre système scolaire, mais on peut fermer les écoles, ce qu’on a fait, et obliger les écoliers et leurs familles à rester à la maison. A l’hôpital, nous avons ouvert une unité avec 40 lits…on est en train de l’adapter au matériel respiratoire. Ce n’est pas grand-chose par rapport aux besoins, mais on a eu 15 patients pour l’instant. Nous surveillons tout cela avec soin et avec tout le matériel de protection que l’on peut trouver… Il y a une énorme rareté (de ces produits) sur le marché international, mais on élargit nos capacités d’action, avec au moins 3 respirateurs. c’est donc de cette manière que l’on s’est préparé à faire face au virus.
Comment vous apprêtez-vous à célébrer la Semaine Sainte, avec quel espoir?
C’est très difficile parce qu’ici comme dans de nombreux pays, les églises sont fermées. Il n’y a pas de messes publiques. Je n’irai pas dans notre maison d’accueil pour les enfants parce que, comme je l’ai dit, ils sont en quarantaine. Par ailleurs, je suis moi-même prêtre et un médecin. Je travaille directement avec des malades du covid-19 et il n’y a pas moyen que j’interrompe leur quarantaine pour célébrer la messe. On célèbre de toutes petites messes sur le parvis de nos chapelles où c’est joli et aéré et où l’on peut séparer les gens entre eux de 2 ou 3 mètres. On a des liturgies très basiques avec très peu de personnes pour maintenir la pratique mais aussi invoquer Dieu pour qu’il nous donne la grâce, en ces jours saints, de sa protection et de la force intérieure dont nous avons tous besoin pour affronter cette pandémie.
Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici