L’irrésistible éloignement des deux Corées
Entretien réalisé par Xavier Sartre – Cité du Vatican
La destruction mardi 16 juin du bureau de liaison intercoréen situé sur son territoire par la Corée du Nord rappelle que le conflit qui a débuté il y a 70 ans dans la péninsule n’est pas vraiment fini. Un armistice a certes été signé en 1953, deux États se sont constitués de part et d’autres du 38e parallèle, mais la paix n’a jamais été instaurée officiellement. Cette césure dans le temps et dans l’espace est le dernier vestige de la Guerre Froide. Mais au contraire de l’évolution qu’a connue l’Europe depuis une trentaine d’années, le communisme version nord-coréenne se maintient plus que jamais et ne semble pas montrer de signes de faiblesse.
Cet état de fait est de plus en plus pris pour acquis par une frange toujours plus importante de la population sud-coréenne. Plus les Sud-Coréens sont jeunes, et plus ils acceptent cette partition de la péninsule. Au contraire, plus ils sont âgés, et plus ils sont attachés à la réunification de ce qui fut leur pays. Le père Philippe Blot, prêtre français des Missions étrangères de Paris, en Corée du Sud depuis une trentaine d’années à Séoul, le perçoit chaque jour un peu plus. «Les personnes âgées de plus soixante ans environ réagissent notamment très durement envers la politique menée par le président Moon Jae-in ; elles pensent qu’il va beaucoup trop loin», explique-t-il. Le président est résolument attaché à une politique de la main tendue et à un dialogue avec Pyongyang, malgré les difficultés et les provocations du voisin du Nord.
Pas de travail de mémoire
Les plus jeunes, ceux qui ont moins de quarante ans, ne sont pas aussi critiques et sont au contraire partisans de cette politique d’ouverture. «La guerre de Corée, cela fait 70 ans, c’est très loin pour eux. Les plus jeunes n’ont aucun souvenir. Ils sont habitués à leur pays, la Corée du Sud et quand on parle de la Corée de la Nord, il s’agit pour eux d’un autre pays» constate le missionnaire. Malgré les tensions récurrentes, «il n’y a pas vraiment de danger éminent».
Ce détachement ou cette indifférence envers cette question qui semble si essentielle vue d’Europe, peut s’expliquer par différentes raisons. Les problèmes quotidiens accaparent l’attention, comme la pandémie de Covid-19 en ce moment. Mais il y a surtout l’absence de transmission de mémoire. «Comme en Europe, les personnes âgées vivent de moins en moins avec leur famille. Elles sont vraiment coupées des jeunes générations», regrette le prêtre français. En dehors de la sphère familiale, la société ne fait pas grand-chose pour entretenir le devoir de mémoire comme c’est le cas en Europe par rapport au premier et au second conflit mondial. «C’est pourquoi les personnes âgées ont très peur pour l’avenir, de se faire, entre guillemets, manger par la Corée du Nord».
La réunification n’est plus évoquée
La perspective d’une réunification de la péninsule est ainsi en train de s’éloigner. Et cela est palpable partout dans la société sud-coréenne, y compris au sein de l’Église catholique. «On parle maintenant de prier pour la paix et la réconciliation mais on ne rajoute plus le terme de réunification» explique le père Blot. «Maintenant, il n’y a plus de réunification possible à court ou moyen terme». «Ce qui est important maintenant, c’est qu’il n’y ait plus d’affrontements, de menaces de l’un ou l’autre», ajoute-t-il.
Si l’Église a abandonné toute référence officielle à la réunification, c’est sans doute aussi à cause «de la susceptibilité des Coréens du Nord» précise le missionnaire. «Et si on parle de réunification, de notre point de vue, il faut que le communisme disparaisse et donc on ne parle pas de cela car il y aura des problèmes politiques qui vont surgir derrière. Le terme de réunification n’est pas un terme en l’air, il est lourd de sens» insiste-t-il.
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