Le vandalisme des statues, expression d'une quête de pureté illusoire
Colbert, Churchill, Ulysses Grant, Charles de Gaulle, ou encore saint Junipero Serra, évangélisateur de la Californie au temps de la colonisation espagnole… La liste des personnalités dont les statues ont fait l’objet de dégradations ces dernières semaines, notamment aux États-Unis en marge du mouvement Black Lives Matter mais aussi désormais en Europe, ne cesse de s’allonger. Si les travaux des historiens permettent progressivement d’affiner et de nuancer l’image de certaines personnalités dont la posture héroïque en certaines circonstances peut masquer de réels préjugés racistes et de graves responsabilités dans des exactions coloniales, le vandalisme souvent gratuit et aveugle entretient ressentiment et violence symbolique et n’aide pas les institutions à mener un honnête travail d’aggiornamento.
Loris Chavanette, historien et spécialiste de la Révolution française, n’est pas surpris par ces phénomènes, mais il est «choqué» par la radicalité des mouvements de vandalisme, notamment aux États-Unis, en Angleterre et en France. Après les exactions de la Révolution française avait émergé la préoccupation de préserver le patrimoine, une notion qui s’est ensuite étendue en France aux XIXe et XXe siècle avec un certain consensus social, mais à laquelle certains activistes semblent désormais hostiles par principe.
La revendication communautaire, une «prison intérieure»
L'historien reconnaît l’importance de combattre le racisme et les inégalités sociales, mais il dénonce «cette manie de la caricature outrancière, des postures moralistes et d’un certain manichéisme qui va à contre-courant de toute réflexion complexe. On a tendance à projeter des idées d’aujourd’hui sur le passé», ce qui constitue un anachronisme. Le risque est de «confondre tout», de commettre des contresens absolus, comme lorsque les statues de Victor Schoelcher et de Charles de Gaulle sont vandalisées par des personnes qui ne connaissent pas leur action historique. La médiatisation offerte facilement par les réseaux sociaux risque d’encourager les vandales qui peuvent tirer facilement une certaine aura en mettant en scène leurs actions, parfois relayées avec complaisance par leur entourage mais aussi par certains médias.
Il faut donc relancer le dialogue entre les cultures, afin de «contrer la présence trop despotique du communautarisme dans nos sociétés». «Certaines personnes vivent dans une prison intérieure, ne se définissent qu’en fonction de leur lieu d’origine ou de leur couleur de peau. Il faut dépasser ces barrières, ces frontières». L’une des évolutions possibles et réalistes serait de mieux intégrer des personnes de couleur dans la mémoire historique, par exemple avec des statues de figures reconnues comme Alexandre Dumas, «non pas dans une logique de face-à-face, de guerre, de bataille, mais au contraire dans un sens pédagogique pour enseigner l’histoire dans toute sa complexité». D'ores et déjà, le fait que de nombreux lieux publics portent par exemple les noms de Martin Luther King et de Nelson Mandela permet de poser des repères significatifs afin de se battre contre «toute forme d’intolérance», d’où qu’elle provienne.
Le patrimoine religieux particulièrement visé
L’historien Christophe Dickès, pour sa part, relie le phénomène contemporain des vandalismes de statues à «l’iconoclasme» qui s’est déployé sous des formes très diverses dans l’histoire, du conflit sur les icônes sous l’Empire byzantin jusqu’aux exactions de Daech, en passant par les totalitarismes nazi et communiste. Le patrimoine religieux fut souvent en première ligne dans ces destructions, et il l’est encore aujourd’hui.
«On peut en effet craindre que les églises et les statues religieuses soient l’objet de destruction, car l’Église a participé de ce mouvement colonial, reconnaît Christophe Dickès. Mais en face de l'image de la statue de la Vierge qui a été caillassée dans le Gard, je préfère garder l’image de cette foule qui, autour de Notre-Dame, pleurait de voir son patrimoine s’envoler en fumée. Il y a dans cette image de Notre-Dame le symbole que nous avons un patrimoine qui est aussi un patrimoine religieux, sacré pour les catholiques, qui représente quelque chose, une prière, un lien entre la terre et le Ciel», souligne-t-il. Il s'inquiète tout de même de la multiplication des vandalismes et profanations d’églises en France, mais aussi par exemple au Chili où les manifestants d’extrême-gauche associent l’Église catholique à un pouvoir institutionnel qu’ils combattent.
Une quête de pureté illusoire, souvent révélatrice d’un manque de culture
«Le déboulonnage des statues, c’est l’expression d’une forme de pureté, d’une volonté de pureté», avertit Christophe Dickès, qui estime que le travail des historiens doit pouvoir se poursuivre en sortant des schémas simplistes du «dominant-dominé». «L’Histoire est complexe, on ne peut la réduire à une vision binaire. Il ne faut pas faire preuve d’ignorance, il ne faut pas être ignare. L’ignorant ne sait pas, l’ignare ne veut pas savoir. Je crois que lorsqu’on en arrive à déboulonner la statue de Victor Schoelcher, qui est un symbole de la lutte contre l’esclavage, sous le seul prétexte qu’il est blanc, c’est un autre racisme. C’est le début d’une forme de conflit permanent, car dans le passé, selon nos représentations, on trouvera toujours un motif pour déboulonner les statues, et c’est un vrai problème», souligne-t-il.
«Notre passé est riche, et il ne faut pas l’effacer d’un trait: nous avons des racines et nous devons les respecter: c’est ce que l’on appelle la civilisation», insiste-il, rejoignant un thème cher au Pape François : le respect des racines et de la filiation, en gardant la mémoire des ombres et des lumières des générations précédentes. Ce sont ces leçons du passé, dont il faut prendre conscience avec reconnaissance et lucidité, qui permettent de construire le présent et l’avenir.
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