L’émerveillement, une disposition du cœur à la surprise et l’étonnement
Entretien réalisé par Delphine Allaire – Cité du Vatican
«Bien qu’étant très fragile, l’être humain est l’unique créature consciente de tant de beauté dans l’univers». Lors de sa catéchèse durant l’audience générale du mercredi 20 mai, le Pape François a loué toutes les vertus du sentiment d’émerveillement, «qui ravive l’étincelle de l’action de grâce». Cultiver et répandre la joie, sans se laisser «consumer par la tristesse ou le découragement».
Le philosophe et théologien, Bertrand Vergely, auteur du Retour à l’émerveillement (Albin Michel, 2010), décrypte toutes les facettes de cette «disposition du cœur à l’étonnement et à la surprise». Présente au fond de chaque être, elle nécessite d’être «précieusement entretenue» afin de rester vivante.
Comment définir l’émerveillement?
Bertrand Vergely: Le terme vient du latin mirabilia qui signifie «chose admirable». Le merveilleux ne met pas seulement devant des choses admirables trouvées dans la nature et dans l’homme, il nous met en face de «l’extraordinaire» de l’existence.
Nous rentrons dans la dimension religieuse de l’existence, quand nous découvrons ce qui est plus que matériel, plus qu’humain, et qui vient d’une source encore plus vivante. Le merveilleux dans la vie spirituelle est son renouvellement des mondes matériel et humain. Il ne faut pas l’interpréter de manière naïve, à savoir un type d’ébahissement, de bonheur continuel. Il ne s’agit pas d’être en extase du matin au soir, mais d’une disposition du cœur fondamentalement ouverte à la surprise, à l’étonnement, à l’admiration, et à l’attention.
De l’intérieur du monde dans lequel nous vivons, provient quelque chose d’extraordinaire. Là naît alors l’espérance, car si dans notre monde quelque chose d’aussi extraordinaire peut avoir lieu, tout est ouvert…
Comment se déclenche l’émerveillement?
Il est suscité par trois éléments. Le premier, de ce miracle, qu’est la beauté du monde. Le second, des êtres humains, cette incroyable ingéniosité, habileté humaine, des moments de merveille, de solidarité et d’actions collectives. Et puis, la vie spirituelle, où depuis les profondeurs de l’être l’on s’aperçoit de quelque chose d’encore plus puissant, qui transfigure tout. L’on existe alors pleinement, vraiment, dans la chair des choses. L’on devient miroir de l’existence et de l’instant.
Savoir que nous ne sommes qu’au début de l’existence fait aussi de nous des êtres émerveillés, au sens noble du terme. Il n’y a pas à désespérer, car tout commence. La gratitude, aussi, de tout ce qui se fait et que l’on ne voit pas, est indispensable.
Cette disposition du cœur à l’émerveillement est-elle innée ou s’acquiert-elle?
Les deux. Elle est dans le fond de notre être, et en même temps, elle se cultive. L’on peut perdre son rapport à l’émerveillement, et le retrouver. L’émerveillement s’apprend et se vit, par la concentration, la vigilance et l’attention. Nous pouvons le perdre lorsque l’on est assailli par une suite de malheurs, d’épreuves qui assomment. Second risque, s’endormir dans la banalité, la médiocrité et la facilité. L’on perd alors la finesse, la subtilité du rapport à l’existence, car il n’y a plus d’exigences, ni de renouvellement. Que jamais, nous ne pensions que l’existence est un dû, et qu’au fond, nous en avons fini avec elle. Nous en avons jamais fini avec rien, il ne faut jamais perdre l’attitude du commencement.
Comment réveiller l’émerveillement chez ceux qui l’auraient oublié?
C’est tout le processus de l’éducation. Des activités d’éveil à la curiosité, à l’ouverture, existe dès le plus jeune âge. Cela se travaille. C’est aussi toute la mission de la culture, qui ouvre à l’émerveillement. Enfin, il se produit de l’intérieur. L’un des Dix Commandements nous dit «Émerveille-toi». Il faut arrêter le désabusement, ce plaisir de dénigrer. C’est un combat spirituel contre les forces de tristesse. Cela paraît peu, mais cette capacité de discernement permet d’éviter l’emballement de l’intelligence maline et la manipulation du désespoir.
L’émerveillement permet aussi de dire que nous ne savons rien. Nous aimerions par exemple pouvoir dire que le confinement a été positif, que nous en avons appris telle chose, telle autre. Or, nous n’en savons rien. Personne n’avait pu imaginer que le monde serait mis à l’arrêt début mars. Il y a des épreuves, mais aussi des lumières, des possibilité, des vertus inimaginables. Cette vertu d’enfance et d’innocence: l’on ne sait pas. Regarde, écoute, vois, et tu apprendras…
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