Martine Gilsoul : « Maria Montessori a changé notre regard sur l’enfant »
Jean-Pierre Bodjoko, SJ* – Cité du Vatican
Pourriez-vous vous présenter sommairement ?
Je suis de nationalité belge et je m’intéresse beaucoup à l’éducation. J’ai été institutrice primaire et j’ai travaillé pendant trois ans à Bruxelles dans un quartier qui accueille des enfants immigrés et réfugiés. J’ai étudié les sciences de l’éducation à l’université à Liège et j’ai été directrice d’une crèche Montessori à Rome. J’ai découvert la méthode Montessori il y a quelques années.
Vous venez d’écrire le livre Maria Montessori. Une vie au service de l’enfant, en collaboration avec Charlotte Poussin. Qu’est-ce qui vous a motivée à rédiger ce livre ?
Maria Montessori a eu une vie passionnante et fascinante. Néanmoins, souvent, son entourage a occulté certaines périodes de sa vie et on a voulu en faire une sainte, comme si tout avait été facile dans sa vie, qu’elle n’avait connu aucune difficulté ou aucun échec. Mais moi, je vis à Rome et j’ai lu beaucoup de ses lettres et travaux publiés en Italien. Je me suis ainsi rendue compte que la réalité était un peu différente, et que dans le monde francophone, on ne connaissait pas la vraie Maria Montessori.
Et alors, comment avez-vous procédé dans la rédaction de votre livre ? Quelles ont été les étapes ?
J’ai commencé d’abord par lire tous les livres de Maria Montessori publiés en Italien. Ensuite, je me suis passionnée pour ses lettres, écrites notamment à ses amis et surtout à son père, quand elle voyage aux USA. Dans ces lettres émerge sa vraie personnalité, la personnalité authentique, où elle ose parler de ses difficultés, de ses découragements, de tous ses doutes, tandis que, de loin, on a l’impression qu’elle n’a connu aucune difficulté.
Justement vous aviez commencé par dire que c’était une personnalité extraordinaire ?
Elle a vraiment eu une vie passionnante. Mais, on réduit souvent la vie de Maria Montessori à la méthode Montessori. Mais, avant d’arriver à cette méthode, il y a eu plusieurs années. Elle est l’une des premières femmes médecins en Italie. Elle a dû aussi beaucoup lutter, car, à l’époque, il n’était pas concevable qu’une femme puisse entrer à l’université, et surtout étudier la médecine et la psychiatrie. Donc, elle a quand-même dû combattre, voire aller au bout de ses idées. Il faut d’abord avoir en tête que Maria Montessori a été une femme de sciences.
Une femme de sciences qui a beaucoup voyagé et cela donne beaucoup plus d’expériences…
Tout à fait. Elle a vraiment observé l’enfant en Inde, où elle a vécu pendant 7 ans, plusieurs fois aux USA, dans les petits villages en Espagne et en Italie. Elle s’est rendue compte que quand les enfants étaient mis dans certaines conditions, ils réagissaient tous de la même manière. Mais, ce n’est pas la liberté, au sens où l’enfant peut faire tout ce qu’il veut. On lui laisse juste choisir le travail qu’il veut faire, mais il y a des règles précises.
Et l’éducateur ou l’éducatrice, l’adulte n’est là que pour accompagner l’enfant afin de lui permettre de se réaliser ?
L’éducateur a plus un rôle de soutien. Maria Montessori conçoit l’éducation comme une aide à la vie. L’éducateur va préparer un ensemble d’activités et un environnement adapté à l’enfant, selon son âge. Il va donc agir de manière indirecte, c’est-à-dire que l’action de l’éducateur se fait plus en préparant les activités et, en l’observant, il va guider l’enfant vers ce qu’il croit qui est bon pour lui.
Vous allez voulu montrer l’autre facette de Maria Montessori. Qu’avez-vous découvert à ce sujet ?
Maria Montessori ne s’est pas mariée. Elle n’avait qu’une histoire d’amour avec un de ses collègues médecins, Giuseppe Montesano, mais elle a choisi de ne pas se marier, parce que si elle l’avait fait, elle aurait dû dire adieu à sa carrière…
Le mariage et la carrière sont incompatibles ?
Nous sommes en 1895-1896 et c’était encore inconcevable à l’époque qu’une femme mariée puisse travailler. Quand elle a été enceinte, elle a donné naissance à son fils Mario et l’a confié à une famille à la campagne. Elle allait le voir de temps en temps. C’est vrai que ça pose un peu question, parce qu’elle-même était éducatrice. Mario va vivre avec sa maman à partir de l’âge de 12 ans. Quand la mère de Maria Montessori sera décédée, deux semaines après, elle va récupérer son fils qui était en pension. A partir de ce moment, ils ne se quitteront plus et Mario sera son plus fidèle collaborateur. Elle a toujours pensé à son fils et elle devait savoir combien cela avait été difficile pour lui. Elle a déclaré que c’est un enfant qui l’a inspiré à se consacrer à tous les enfants.
Quelle est la plus grande œuvre de Maria Montessori ?
Le plus beau cadeau de Maria Montessori c’est de changer notre regard sur l’enfant. C’est vraiment une autre conception de l’enfance. Elle nous a montré que l’enfant, même petit, a un potentiel incroyable et qu’il peut faire de grandes choses, à la seule condition que l’adulte n’agisse pas à sa place. C’est vraiment un cheminement vers l’autonomie de l’enfant.
Et quel est le regard critique des autres éducateurs, à côté du mode d’éducation prôné par Maria Montessori ?
Maria Montessori a toujours été très critiquée. D’abord parce qu’elle avait un caractère assez fort et ce n’était pas facile de collaborer avec elle. Elle était tellement convaincue de ses idées qu’elle n’écoutait pas les autres. Et puis, le fameux matériel Montessori n’est qu’un moyen. Malheureusement, beaucoup ont réduit la méthode Montessori à ce matériel (Montessori). Et donc, si on ne comprend pas que derrière tout cela il y a une philosophie de vie et une certaine manière d’entrer en relation avec l’enfant, c’est vrai que ça ne devient qu’une simple technique. Donc, on a critiqué Maria Montessori comme si elle domptait un peu les enfants avec ce matériel. C’est vrai qu’il arrive souvent que les enfants apprennent à lire et à écrire beaucoup plus tôt que dans les écoles traditionnelles. On lui a reproché d’hypnotiser les enfants, ce qui n’est pas du tout le cas. Elle était médecin et c’est toute une démarche scientifique.
Quand on parle de Maria Montessori, on parle des maisons des enfants, mais il s’est aussi créé un réseau autour de son nom…
Tout à fait. C’est né très petitement. Aujourd’hui, la méthode Montessori est répandue dans le monde entier. Il y a des dizaines de milliers d’écoles, mais tout a commencé dans un quartier de Rome, le quartier San Lorenzo en 1907, un quartier situé entre le cimetière de Rome et la gare. Les conditions d’hygiène étaient terribles et on s’est rendu compte que les enfants erraient toute la journée pendant que les parents étaient au travail. On a donc demandé à Maria Montessori de s’occuper de ces enfants. Jusque-là, elle n’avait travaillé qu’avec des enfants qu’on appelait déficient à l’époque, en suivant la méthode des professeurs Itard et Séguin, des médecins français. On partait des sens, pour arriver à leur conscience. Elle s’est ainsi dit qu’elle voudrait voir comment réagissent les enfants « normaux ». Elle était professeure d’université à l’époque et n’allait que très rarement s’occuper des enfants de ce quartier. Et c’est la fille du gardien de l’immeuble qui s’occupait des enfants. La seule chose qu’elle a faite a été de donner à ces enfants des objets à leur mesure, notamment tout le matériel qu’il faut pour s’occuper du nettoyage de la pièce ainsi de beaux objets comme des œuvres d’art. Tout était mis à la mesure des enfants. C’est pour cela qu’on a dit que ça ressemblait à une maison des enfants. Et c’est ainsi qu’est né le nom « Maison Montessori ».
Et le réseau ?
Vu le succès, ces enfants se sont transformés en quelques mois. Ils ont commencé à écrire. Leurs parents étaient analphabètes et avaient demandé à Maria Montessori de leur apprendre à écrire. Elle a commencé par leur présenter des lettres et, en quelques mois, on a parlé d’un miracle. Parce que des enfants de 4 ans et demi ou 5 ans ont commencé à écrire. La nouvelle s’est répandue et des visiteurs ont commencé à affluer. On a proposé à Maria Montessori d’ouvrir d’autres écoles à Rome, dans le même quartier, puis à Milan. En outre, des jeunes institutrices voulaient adopter cette méthode et elle a commencé par les former. Elle s’est également entourée de collaboratrices, car elle était toute seule au début. Le problème est que beaucoup de personnes venaient, voyaient le matériel et pensaient qu’il suffisait d’avoir le matériel. Mais, Maria Montessori leur disait que la méthode n’était encore qu’à ses débuts et qu’il fallait qu’elle l’étudie encore. Elle a commencé par des enfants âgés de 3 à 6 ans, puis de 6 à 12 ans. Toute sa vie, elle a étudié pour mieux comprendre l’enfant, son développement et comment l’adulte pouvait soutenir son développement.
Maria Montessori a beaucoup voyagé, notamment en Inde et aux USA. Mais, elle est morte avec une carte de l’Afrique sur ses genoux, puisqu’elle projetait de voyager en Afrique…
Quelques jours avant sa mort, son fils Mario avait rencontré un groupe de représentants du Ghana qui étaient en voyage aux Pays-Bas. Et quand ils ont appris que Maria Montessori habitait tout près, ils ont pris rendez-vous pour la rencontrer, car ils souhaitaient remettre sur pied leur système éducatif. Maria Montessori n’était jamais allée en Afrique, même si la méthode était déjà adoptée en Afrique. Malgré les réticences de son fils, elle a dit, « là où des enfants ont besoin de nous, nous irons ». Donc, elle a demandé à son fils où se situait exactement le Ghana et il est allé chercher un Atlas pour lui montrer. Mais, quand il est revenu, il a trouvé sa maman qui était décédée. Donc, jusqu’à la fin, elle a tout donné pour les enfants.
En guise de conclusion, quel est le principal message de votre livre ?
J’ai essayé de montrer qui était la vraie Maria Montessori. On y voit son humanité, tous ses combats, ses échecs et aussi comment elle a toujours continué à tout donner pour les enfants. C’est un livre qui montre aussi qu’on ne doit pas avoir peur d’aller jusqu’au bout de ses idées et de ses projets. C’est une vie passionnante et le livre se lit un peu comme un roman. Les lecteurs ne vont pas s’ennuyer et vont y apprendre beaucoup de choses.
*Twitter : @JPBodjoko E-mail : jeanpierre.bodjoko@spc.va
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