Mgr Lebrun: le père Hamel, un intercesseur pour retisser la fraternité en France
Entretien réalisé par Cyprien Viet - Cité du Vatican
Le traumatisme demeure vif en France, cinq jours après l’assassinat de Samuel Paty près du collège de Conflans-Sainte-Honorine où il enseignait l’histoire et la géographie.
Ce nouvel attentat islamiste réveille le sentiment d’insécurité diffuse qui agite la société française, dans les tensions du quotidien comme dans les attentats de grande ampleur qui ont frappé le pays depuis 2012 et les attaques de Toulouse et Montauban, et a fortiori depuis la série d'attaques de grande ampleur perpétrées à Paris en 2015.
En 2016, l’assassinat du père Jacques Hamel dans son église de Saint-Étienne-du-Rouvray, 12 jours après l’attentat de la Promenade des Anglais à Nice, avait été suivi d’un rare moment d’unité nationale, les fractures politiques et religieuses étant désarmées face à l’assassinat d’un prêtre octogénaire, reconnu pour sa simplicité de vie et son amour pour tous.
La rencontre avec Dieu suppose de se détourner du Mal
L’archevêque de Rouen, Mgr Dominique Lebrun, observe donc la situation actuelle avec le souvenir de ce traumatisme qui avait laissé place à la fraternité et à l’espérance. Dimanche dernier, à la suite de l'attentat de vendredi soir, il a invité les responsables des cultes à se rassembler devant la Stèle républicaine pour la paix et la fraternité dressée près de l’église de Saint-Étienne-du-Rouvray à la mémoire du prêtre assassiné.
«La colère et la peur guettent les collèges après avoir touché les lieux de culte, les forces de l’ordre ou des symboles de la République», ont écrit les responsables du diocèse de Rouen, qui «continuera d’enseigner dans ses écoles, collèges et lycées les éléments fondateurs de la fraternité. Les dix commandements en sont la base: "Tu adoreras Dieu seul" et "Tu ne tueras point" sont pour nous inséparables. Puissent l’assassin et ceux qui nourrissent le fanatisme trouver la lumière dans une rencontre authentique de Dieu. Jamais, Dieu ne veut la mort, pas même celle du méchant. Il veut que l’humanité se détourne du Mal pour retrouver sa vocation à aimer.»
Il espère qu’aujourd’hui aussi, la société française saura se poser les bonnes questions et construire une relation de confiance entre personnes de sensibilité et de croyance différentes, sans céder à la tentation diabolique de la peur et du mépris des uns pour les autres.
«Il faut vraiment prendre conscience du fait que les questions qui nous sont posées sont très larges, et tout le monde doit s’y mettre. Il y a évidemment des questions d’ordre public. Il faut qu’il y ait une prévention et une répression des faits qui sont inadmissibles. Il y a des questions politiques, sur l’immigration, il y a des questions de politique internationale et donc de diplomatie, il y a des questions d’éducation, et il y a des questions spirituelles et théologiques. Et là je crois que nous sommes arrivés à un moment où il faut choisir, dans notre société française. Beaucoup de voix s’élèvent pour dire: «vous voyez, la religion conduit à la violence, donc il faut la rejeter dans la sphère privée», donc on va prendre des dispositions pour une laïcité, comme on dit, "renforcée".
Or, je crois que c’est le contraire. Parce qu’il y a un homme qui, au nom de Dieu, et qui n’est pas forcément fou, a tué. Et il n’y a pas qu’un homme: il y a aussi des personnes qui disent: «nous ne sommes pas respectés dans notre foi et notre religion». Il faut que nous abordions cette question: quel est ce Dieu auquel vous croyez? Comme moi je dois rendre compte de ma foi: quel est le Dieu auquel je crois, qui m’invite à un comportement social. Le Pape parle de fraternité, d’amitié sociale, en allant très loin dans le dialogue et l’accueil de tous. Comment est-ce possible quand nous avons une représentation de Dieu qui est différente?
Vous évoquez la notion de fraternité. La fraternité fait partie de la devise de la République française, et elle est très présente dans l’enseignement du Pape François à travers sa dernière encyclique. Certaines personnes assimilent la fraternité à quelque chose d’un peu naïf, ou relativiste… Comment montrer que la fraternité relève aussi d’une forme de radicalité, qui implique toute la société dans quelque chose de très fort, et non pas dans une forme de relativisme où tout serait égal?
Dans son encyclique, le Pape cite la devise «Liberté, Égalité, Fraternité» mais en relativisant, d’une certaine manière, l’égalité et la liberté à la fraternité. Et qu’est-ce que nous constatons? C’est que depuis une cinquantaine d’années nous avons fait beaucoup de lois et de règlements sur la liberté: la liberté d’aller et venir, la liberté de choisir sa vie, sa profession, la liberté de conscience, la liberté d’expression… On a fait autant de lois sur l’égalité: l’égalité des chances à l’école, l’égalité devant l’impôt, l’égalité de l’homme et de la femme… Sur la fraternité, j’ai envie de dire "grâce à Dieu", jusqu’à présent, nous n’avons pas fait des règles et des lois. Parce qu’il s’agit d’un esprit. Le Pape ouvre des pistes lorsqu’il parle d’amitié sociale, lorsqu’il parle d’amour politique, de quoi parle-t-il? Il parle du cœur de l’homme. Il s’agit de quelque chose qui touche l’être dans sa globalité, à partir de son cœur, pour qu’il envahisse d’une certaine manière son intelligence, sa volonté et ses actes.
On a le souvenir qu’après l’assassinat du père Jacques Hamel, il y avait eu une certaine unité nationale en France, quelque chose de très fort qui avait transcendé les clivages religieux et politiques. Est-ce qu’aujourd’hui on peut considérer le père Hamel comme un intercesseur? Peut-on faire appel à lui pour la paix sociale en France?
Oui, moi je pense que le père Hamel doit nous aider de Là-Haut… On doit le prier pour qu’il nous apporte cette paix sociale, cette amitié sociale dont parle le Pape. Et j’ai été agréablement surpris: d’une certaine manière, peut-être que je manquais encore de confiance dans nos amis des autres religions. Quand je leur ai proposé de se retrouver devant la stèle dédiée au père Jacques Hamel, en moi-même je me suis dit «mais peut-être que j’exagère un peu, il faut peut-être aller dans un endroit plus neutre, aller devant le rectorat ou un autre lieu symbolique, plus neutre». Mais ils ont immédiatement accepté de venir et je le reçois comme un signe que vraiment, le père Hamel nous montre le bon chemin.»
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