Référendum : le Chili face au défi de la justice sociale
Entretien réalisé par Cyprien Viet - Cité du Vatican
Les électeurs chiliens sont appelés aux urnes ce dimanche pour un référendum sur une nouvelle Constitution. Deux questions leur seront posées : l’une, qui semble faire consensus selon les sondages, sur la nécessité d’un changement de Constitution, et l’autre, plus technique, sur la structure de l’Assemblée constituante censée la rédiger. Un deuxième référendum devrait ensuite porter sur le nouveau texte proprement dit, probablement en 2022.
Cette future nouvelle Loi fondamentale remplacerait la Constitution de 1980. Élaboré sous la dictature du général Pinochet et resté en vigueur depuis 40 ans malgré la transition démocratique des années 1990, ce texte est décrié car il est considéré comme une entrave au pluralisme politique. Le président Sebastian Piñera a accepté le principe d'un référendum afin de rétablir le dialogue avec les partis d’opposition et la société civile, dans le contexte du mouvement de contestation amorcé en octobre 2019. Au fil des semaines, une trentaine de personnes ont été tuées et des milliers ont été blessées au cours des affrontements entre manifestants et forces de l'ordre, et de nombreux dégâts matériels ont été constatés. Les inégalités sociales qui affectent ce pays longtemps considéré comme l'un des plus riches et les plus stables d'Amérique latine ont été la principale motivation du mouvement.
L'Église porte la voix des pauvres
Durement éprouvée par la crise des abus sexuels et par les attaques perpétrées contre les églises en marge des manifestations, l'Église catholique demeure toutefois une instance importante dans la vie de la société. Son engagement auprès des plus pauvres, conformément aux priorités fixées par le Pape François, est particulièrement apprécié dans le contexte de la crise économique provoquée par la pandémie de coronavirus.
Mgr Fernando Chomali, archevêque de Concepciòn, espère que ce processus constitutionnel permettra de consolider la démocratie, mais il estime que le défi politique le plus urgent serait d’abord de répondre aux difficultés sociales des Chiliens.
«Les gens sont un peu indifférents, parce qu’ils se rendent compte qu’aucune des options proposées ne rejoint leur problème immédiat, avoir une meilleure santé, un travail… Les gens voient que macro-économiquement, le pays va très bien, mais micro-économiquement, les gens qui doivent s’acheter tous les jours de quoi manger, ils n’arrivent pas à la fin du mois.
Vous expliquez que la masse de la population est indifférente, mais est-ce que cette démarche de réformer la Constitution a quand même permis d’amorcer un dialogue entre les différentes forces politiques du pays, et peut-être aussi avec les syndicats? Est-ce que cela a permis de débloquer un manque de dialogue au niveau politique?
Malheureusement les politiciens n’ont pas lu l’encyclique du Pape François Fratelli tutti, ils n’ont pas lu Evangelii Gaudium, ils sont très fermés. Donc en ce moment on ne voit pas un chemin, un leader qui pourrait nous aider, et ça c’est un danger pour la démocratie. Avec tous les évêques, nous avons fait un appel très consistant pour aller voter dimanche, parce que c’est une bonne façon de consolider la démocratie.
Nous avons dit que chacun doit voir dans sa conscience ce qu’il doit faire avec sa préférence, sans pression mais aussi sans faux espoir. Parce que beaucoup de gens ont commencé à dire: «si tu votes pour cette option, tu vas avoir du travail, tu vas avoir la santé, tu vas avoir une meilleure éducation». Mais ça ce n’est pas vrai, parce que la Constitution ce sont les règles à propos des personnes, leurs relations avec la communauté, c’est la grande Loi, mais après il y a des lois plus spécifiques qui concernent tous ces domaines-là. Alors c’est une situation intéressante sur le plan politique, et pour le moi le plus important c’est que la démocratie soit plus forte.
Peut-on dire que depuis 1990 le Chili était une démocratie réelle, ou est-ce qu’il y avait quelque chose d’artificiel que cette nouvelle Constitution peut corriger?
Je ne sais pas, mais la démocratie, au Chili et en Amérique latine en général, est faible, dans le sens où l’on n’arrive pas à faire en sorte que tous les gens aient les mêmes possibilités. Une démocratie, c’est le lieu où les gens ont une possibilité réelle de se développer. Ici il y a un cercle vicieux : les fils de pauvres sont pauvres, et les personnes veulent des actions et un démarrage plus rapide.
Vous pensez que l’encyclique Fratelli tutti pourrait être une sorte de "constitution" pour la société chilienne?
Notre "constitution" est très claire avec l’Évangile, avec tout ce que le Seigneur nous enseigne tous les jours. Mais Fratelli tutti arrive au cœur des gens. J’ai fait une réunion avec les leaders de l’archidiocèse, du monde de l’université, du monde politique. Tous ont participé et tous se rendent compte que c’est un idéal auquel il faut arriver. Et cela a représenté pour moi un très grand moment d’espoir.»
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