Quel avenir pour les sanctuaires arméniens du Haut-Karabakh?
Cyprien Viet - Cité du Vatican
Les monastères sont des signes vivants des racines chrétiennes d'une terre, et après la signature de l'accord entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, la population s'interroge sur le destin futur des églises et monastères situés dans les territoires qui passeront sous la juridiction de Bakou.
Ce compromis signé lundi soir entre le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan et le président azerbaïdjanais Ilham Aliev, sous l’égide du président russe Vladimir Poutine, a permis un arrêt immédiat des combats qui faisaient rage depuis le 27 septembre dans le Haut-Karabakh, une région montagneuse de peuplement arménien mais rattachée à l’Azerbaïdjan, selon les frontières administratives établies à l’époque soviétique.
L’accord prévoit une partition de la région selon la ligne de front de la nuit du 9 au 10 novembre, avec une zone de souveraineté azerbaïdjanaise directe, essentiellement au sud, alors que dans le reste du territoire, le déploiement d’une force d’interposition de la Fédération de Russie est censé permettre le retour de la population arménienne.
Des interrogations qui subsistent sur la préservation du patrimoine
À la différence des trois précédentes tentatives de cesssez-le-feu, cet accord semble pleinement respecté, mais il continue à susciter des incompréhensions et des questionnements en Arménie, comme le gouvernement d’Erevan lui-même le reconnaît. «Nous sommes actuellement dans l'incertitude quant au sort du patrimoine culturel de l'Artsakh» (nom arménien du Haut-Karabakh), a déclaré à l'AFP Nariné Toukhinian, la vice-ministre arménienne de l'Éducation, de la Science et de la Culture, qui précise que l’accord n’établit aucune disposition au sujet des lieux de culte.
«Nous sommes extrêmement préoccupés car on a déjà vu la profanation et la destruction des khachkars (des croix traditionnelles arméniennes en pierre ornementées) par les Azéris», explique-t-elle. Des exemples de l’histoire récente font en effet craindre des exactions contre le patrimoine religieux: ainsi, les traces de la présence arménienne dans la République autonome du Nakhitchevan, qui appartient à l’Azerbaïdjan mais qui est détachée du reste du territoire, ont été progressivement détruites après le départ des derniers Arméniens, dans les années 1980. «Des prêtres arméniens resteront où restera la population arménienne. Mais il est peu probable que nos ecclésiastiques pourront rester dans les territoires cédés à l'Azerbaïdjan», a précisé la vice-ministre du gouvernement d’Erevan.
L'Église apostolique arménienne, très majoritaire dans le pays, ne s'est pas encore directement exprimée sur la question mais son Patriarche Karékine II a néanmoins demandé aux autorités de la République d’Arménie et du Haut-Karabakh, après la signature de l'accord, de «donner immédiatement des explications compréhensibles et convaincantes au peuple (...) sur ces décisions et leur impact sur le futur de notre patrie».
Les adieux au monastère de Dadivank
Un article de La Croix évoque les pèlerinages d’Arméniens venus faire ces jours-ci leurs adieux au monastère de Dadivank, situé dans une province qui doit être transférée à l’Azerbaïdjan d’ici à ce dimanche 15 novembre. Quand la région était contrôlée par le régime soviétique, les lieux avaient été abandonnés au bétail, avant le rétablissement du culte dans les années 1990.
Pour le père Hovhannes, qui a continué cette semaine à accueillir et à baptiser des pèlerins, l’attachement des Arméniens à ce monastère devrait justifier une poursuite du culte et des pèlerinages, malgré l'accord sur le transfert de souveraineté. «Les gens ont perdu des proches, leurs maisons. Ils ne veulent pas perdre Davidank. (...). Nous devons prier pour la sauvegarde de notre monastère», explique-t-il.
La cathédrale de Chouchi, symbole de l’identité arménienne
La perte de la ville de Chouchi (Choucha pour les Azerbaïdjanais) suscite également une vive inquiétude dans la population arménienne. Elle abrite une cathédrale construite au XIXe siècle, qui fut abandonnée après les massacres de 1920. Devenue au temps de l’URSS un grenier à blé, puis un garage et enfin un dépôt d’armes pour les Azerbaïdjanais jusque dans les années 1990, elle fut ensuite restaurée et rendue au culte.
Le bombardement qui l’a endommagée le 8 octobre dernier a suscité une très vive émotion parmi les chrétiens arméniens. Dans un entretien à France 24, le président azerbaïdjanais Ilham Aliev a pourtant assuré que les lieux de culte n’étaient pas ciblés par les forces de Bakou, et que si l’armée azerbaïdjanaise avait atteint cette cathédrale, il s’agissait d’une erreur de tir et nom d’une attaque délibérée.
Sans mentionner directement la cathédrale de Chouchi, le dimanche suivant lors de l’Angélus, le Pape François avait exprimé sa douleur «pour la perte de vies humaines, pour les souffrances subies et pour la destruction d’habitations et de lieux de culte. Je prie et j’invite à prier pour les victimes et pour tous ceux dont la vie est en danger», avait déclaré le Pape François, qui avait visité l’Arménie du 24 au 26 juin 2016 et l’Azerbaïdjan le 2 octobre suivant.
Le gouvernement de Bakou a assuré que le patrimoine culturel et religieux serait préservé dans les zones revenues sous son contrôle. Mais certains Arméniens espèrent une intervention de l’Unesco et de l'Union européenne afin de donner une visibilité internationale et un statut spécifique à ces lieux de pèlerinage.
Les églises arméniennes du monde entier appelées à une Journée du souvenir
Par ailleurs, après un entretien tenu ce vendredi 13 novembre entre le président arménien Armen Sarkissian et le Patriarche de l’Église apostolique Karékine II, il a été décidé que le dimanche 22 novembre sera la Journée du souvenir de tous ceux qui sont tombés dans cette guerre. Ce jour-là, dans toutes les églises situées sous la juridiction de l’Église apostolique arménienne, partout sur la planète, des messes de requiem seront célébrées pour les victimes de ce conflit.
Aucune donnée définitive n’a encore pu être établie, mais le bilan humain de ces 45 jours de combats pourrait s’élever à plusieurs milliers de morts.
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