Suisse : votation pour des «Multinationales responsables»
Marie Duhamel et Marine Henriot – Cité du Vatican
Les entreprises multinationales qui ont leur siège en Suisse doivent être responsables de leurs actions, même à l'étranger. C’est fort de cette conviction que les évêques de Suisse soutiennent l’initiative «Multinationales responsables» qui fera l’objet d’une votation ce dimanche 29 novembre dans le pays helvétique.
«Comme chrétiens, nous nous engageons pour la justice dans le monde, pour la solidarité et pour la conservation de la création, et cela nous parait normal qu’une entreprise basée en Suisse et qui commet des violations des droits de l’homme ou qui pollue à l’étranger, réponde de ses actes ici en Suisse », affirme Francis Mercier, le responsable du dossier ‘industrie minière et droits humains’ à Action de Carême, une œuvre d’entraide catholique à l’origine avec d’autres de l’initiative, également soutenue par l’Église évangélique réformée, le réseau évangélique suisse et de nombreuses Églises cantonales.
En dehors de la sphère chrétienne, le texte a reçu ouvertement le soutien d’une large coalition d'élus, d'universitaires, mais aussi des syndicats, d’entrepreneurs et 130 ONG.
Si le "oui" l’emportait demain, les multinationales – les PME ne sont pas concernées, auraient l’obligation de vérifier et de prendre des mesures pour prévenir les violations des droits de l’homme à l’étranger.
Or aujourd’hui, il est rare que des entreprises identifient, préviennent et combattent les abus en matière de droits humains et d’environnement au sein de leurs chaînes d’approvisionnement, et communiquent publiquement sur leurs efforts, souligne Human Rights Watch. Une évaluation faite par l’ONG affirme que la plupart des 15 marques de joaillerie et de montres dont des joailliers suisses, «n’étaient pas en mesure de retracer intégralement l’origine de leurs diamants, ne menaient pas d’évaluations de terrain concernant le respect des droits humains et ne publiaient pas suffisamment de détails sur leurs efforts en faveur d’un approvisionnement responsable».
Des poursuites possibles en Suisse
Autre point fondamental de l’initiative soumise demain au vote, elle pourrait contraindre les multinationales à répondre d'éventuels manquements devant les tribunaux en Suisse. «Par exemple, si une mine en Afrique détenue par une société en Suisse polluait les champs de paysans aux alentours, l’initiative demande que l’entreprise suisse soit responsable de ses actes. C’est-à-dire que si les victimes ne peuvent pas avoir accès à la justice dans leur pays, ils doivent pouvoir obtenir réparation en Suisse», explique Francis Mercier. «Ce ne sera pas simple», reconnaît le responsable du dossier industrie minière et droits humains à Action de Carême, «mais cela serait possible». Il met en avant le cas de la RDC où l’œuvre catholique est très présente. Sur place, «la justice ne fonctionne pas» et la Suisse est propriétaire de nombreuses mines.
Le soutien du cardinal Ambongo
L’initiative a d’ailleurs obtenu le soutien public du cardinal Fridolin Ambongo, archevêque de Kinshasa et, depuis octobre dernier, membre du Conseil des cardinaux. Dans une lettre adressée à Action de Carême, il se félicite que l’initiative «offre enfin la chance aux personnes lésées de pouvoir faire valoir leur droit quand cela n'est pas possible dans leur pays». Le vice-président de la CENCO déplore en effet que son pays ait une gouvernance «défaillante». Les lois sont mal appliquées et l'impunité est omniprésente, affirme-t-il et cela ne permet pas aux victimes d’accéder à la justice. Or, il en témoigne personnellement : «les populations avoisinant les mines et carrières souffrent de nombreux maux: leur environnement est pollué, ils n'ont plus accès à l'eau, leurs maisons sont détruites, ils sont délocalisés sans dédommagement, ils sont victimes de violence, etc.»
Les évêques congolais ont plusieurs fois dénoncé cette situation, regrettant que la présence de multinationales en RDC dont des entreprises suisses, ne soit pas un facteur de développement mais au contraire contribuent à la misère des populations. Le cardinal Ambongo salue ainsi le geste de solidarité du peuple suisse et de l'engagement de nombreux groupements d'Églises et d'œuvres d'entraide en faveur de cette initiative qui, espère-t-il, «permettra aux victimes d'avoir droit à un procès équitable» et d’agir de manière préventive en évitant de nouveaux abus.
L'une des affiches emblématiques de la campagne en faveur du "oui" montre une petite fille devant une mine au Pérou appartenant à une entreprise contrôlée par le géant des matières premières Glencore. Dans la région, quelque 2.000 enfants présentent des symptômes chroniques d'intoxication, souffrant d'anémie, de handicaps et de paralysie, dénoncent les défenseurs de l'initiative. Ils multiplient les exemples d’abus, mettant en cause des pesticides interdits depuis longtemps en Suisse vendus par l'agrochimiste Syngenta ou encore les rejets de particules fines d'une cimenterie de Lafarge-Holcim au Nigeria.
Le Parlement propose un contre-projet, soutenu par le patronat
Signalons toutefois que cette initiative a de nombreux opposants, à commencer par le Parlement et le Conseil fédéral. Pour eux, le texte va «trop loin». Il vise «les brebis galeuses» mais touchera toutes les entreprises. Certaines multinationales pourraient décider face au risque de plaintes de quitter les pays où elles investissent et créent des emplois, préviennent les autorités au pouvoir.
Le Parlement, cherchant à se montrer conciliant, propose l’inscription d’un contre-projet dans la loi en cas d’échec de l’initiative. Celui-ci poursuivrait les mêmes objectifs mais avec des règles coordonnées au niveau international, explique l’AFP. «il obligerait juste certaines entreprises à rendre des comptes en matière de travail des enfants et d’extraction de minerais dans des zones en conflit. Elles devraient aussi produire des rapports sur leur gestion des risques», résume Nicolas Bueno, chercheur en droit à l’Université de Zurich. interrogé par Ouest-France.
Les représentants du patronat s’y seraient montrés plutôt favorables, rejetant l’initiative qui pourrait faire des grandes entreprises des «présumés coupables jusqu’à preuve du contraire», s’inquiétait par exemple Paul Bulcke, le président de Nestlé, sur les ondes de la RTS. D’autres craignent des dégâts d’image avec des réputations longues à reconstruire. Enfin certains préviennent que si cette initiative voyait le jour, elle pourrait dissuader des entrepreneurs de s’installer en Suisse.
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