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Une embarcation échouée aux Canaries, le 5 décembre 2020. Photo d'illustration. Une embarcation échouée aux Canaries, le 5 décembre 2020. Photo d'illustration. 

Sénégal: l’émigration des jeunes modifie les relations familiales

Le Sénégal assiste, ces derniers mois, à une nouvelle vague de départs de jeunes vers l’archipel des îles Canaries. Ce phénomène migratoire n’est pas sans conséquence au niveau du tissu familial et social dans le pays.

Entretien réalisé par Hélène Destombes - Cité du Vatican

En empruntant cette route migratoire, souvent à bord de longues pirogues, les candidats au départ aspirent à une vie nouvelle en Europe. Ils proviennent d’horizons très différents. Il s’agit à la fois d’étudiants, d’artisans, de pêcheurs, d’hommes et de femmes diplômés ou non, mais également de mineurs. Ce phénomène n’est pas nouveau, rappelle Nelly Robin, directrice de recherche au Centre Population et Développement (CEPED) à Paris, qui a réalisé une étude sur cette question migratoire. En 2005 et 2006, plus de 30 000 sénégalais avaient débarqué sur l'archipel espagnol des Canaries.

Cette émigration s’explique essentiellement par «un manque d’horizon professionnel à la fois pour les diplômés et les non diplômés» relève-t-elle. «Si le cursus scolaire n’a pas été réalisé à l’étranger, les portes de nombreuses entreprises au Sénégal, nationales et internationales, se ferment». Par ailleurs, les artisans ne parviennent pas à accéder à un marché du travail leur permettant de «s’épanouir socialement et économiquement». Ce phénomène est également lié à «une pression sociale à l’échelle familiale mais aussi à l’échelle de la communauté de voisinage».

Un droit d’aînesse remis en question

Les jeunes qui prennent la mer, au péril de leur vie, sont souvent des cadets et «leur départ amène à remettre en cause le droit d’aînesse sur lequel sont basées les relations à l’intérieur de la fratrie» observe Nelly Robin. Lorsque le cadet quitte le Sénégal, indique t-elle, «même si sa migration reste difficile et fragile dans le pays d’accueil en Europe, il parvient néanmoins à subvenir à certains besoins de la famille remettant en cause la place de l’ainé qui exprime sa souffrance à ne plus être reconnu comme il l’était précédemment». Aussi, les ainés qui avaient fait le choix de rester pour participer au développement de leur pays envisagent à leur tour un départ.

Ces départs ont également des incidences au niveau social, dans la mesure où ils changent la position de la famille dans son environnement de voisinage, souligne Nelly Robin. «Si les candidats à l’émigration parviennent, en rejoignant l’Europe, à transmettre des ressources pour les besoins quotidiens, pour la scolarisations des plus jeunes, pour d’éventuels soins médicaux, la famille acquiert une autre visibilité sociale et donc un statut particulier au sein de sa communauté de vie». En revanche, poursuit-elle, si les jeunes ne parviennent pas à rejoindre l’Europe, la position de la famille devient «complexe» car cela est vécu comme «un échec» au sein même de la communauté familiale et dans son entourage.    

Entretien avec Nelly Robin, directrice de recherche au CEPED

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09 décembre 2020, 17:26