Yves Coppens: diffuser les vaccins de manière équitable et transparente
Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
Beaucoup voient leur arrivée comme l’amorce de la fin de la pandémie, qui a déjà fait plus d’un million et demi de morts à travers le monde: les vaccins contre la Covid-19 ravivent l’optimisme, et devraient a minima endiguer les ravages du virus. Au bout de dix mois de développement accéléré, les laboratoires ont multiplié les annonces de résultats ces dernières semaines. Au niveau mondial, selon le Milken Institute, 237 projets de vaccin étaient recensés fin novembre. Dans de nombreux pays, on peaufine désormais les campagnes de vaccination: au Royaume-Uni, les premières doses seront injectées demain, Moscou a commencé samedi à vacciner les travailleurs sociaux, les personnels médicaux et les enseignants avec son propre vaccin, tandis que le Japon et l’Italie – entre autres – envisagent une vaccination gratuite de leur population. Mais cette prouesse scientifique ne va pas sans provoquer des interrogations, souvent teintées de scepticisme: quelle efficacité? Quels effets secondaires?
Au Vatican, on met en garde contre le risque d’inégalités d’accès au vaccin, et l’on souhaite que les solutions scientifiques soient l’objet d’une «considération éthique attentive». C’est ce qui ressort de la déclaration finale de la session plénière de l’Académie Pontificale des Sciences, publiée en octobre dernier et signée par une quarantaine d’académiciens. Parmi eux, le paléontologue Yves Coppens, qui est également professeur émérite au Collège de France et membre de l’Académie des Sciences.
Il nous donne son point de vue sur le développement des vaccins mené jusqu’à présent :
«D’abord, les laboratoires se sont précipités: on souhaite beaucoup que l’éthique ne les ai pas abandonnés. On reçoit ces vaccins avec confiance, heureusement. Il faut que la science soit bien présente dans tout cela et aussi prise en considération, et pour cela il faut beaucoup de "faire-connaître", il faut dire aux gens, aux populations, aux gens qui vont se faire vacciner, de quoi il s’agit, ce qu’il va en résulter, et les mauvais effets secondaires qui peut-être vont apparaître, il faut être tout à fait transparent. C’est évidemment très important tout ce travail qui a été fait, c’est tout à fait unique. Il faut envisager cette vaccination de manière globale, pour le moment sur le mode du volontariat, parce qu’on n’a pas suffisamment de recul pour avoir, je pense, le droit d’imposer quoi que ce soit, et bien sûr sur le plan de l’équité totale.
Comment garantir cette équité, éviter les disparités au maximum?
La responsabilité change de camp, si je puis dire. On passe de la science à la médecine. Les médecins praticiens ont à ce moment-là toute autorité dans la mesure où eux aussi respectent parfaitement cette éthique médicale. On comprend bien qu’il puisse y avoir une hiérarchie. Avoir dit «équité» et «vaccin pour tout le monde», c’est bien, mais ensuite il est évidemment impossible de vacciner tout le monde le même jour, donc il faut une hiérarchie, et cette hiérarchie, confiée aux médecins, va des personnes vulnérables à celles qui peuvent un peu attendre, sans trop de dommages. Mais cela, c’est aux mains de la médecine évidemment.
Mais entre les différents pays, il y a aussi des questions politiques, logistiques… Comment établir une hiérarchie à partir de ces critères-là?
On souhaiterait que toute l’humanité soit dans le même sac, mais on sait bien que ce n’est pas le cas. Les pays ont des politiques bien différentes, des populations qui se prêtent plus ou moins facilement - personnellement et sur le plan géographique – à cette vaccination. Là aussi, il y a une équité [à respecter] dans la distribution des vaccins, mais aussi dans le choix des vaccins. Et il est un peu tôt pour faire le choix des vaccins. Il y a en plus de la compétition, on le voit bien, entre laboratoires, entre pays, entre "faire-valoir" et "faire-connaître", et ça, c’est inhérent à la nature humaine.
Ce vaccin est présenté par beaucoup comme le début de la fin de la pandémie, mais est-ce l’unique solution pour mettre fin à la crise que nous traversons?
Pour les cas qui sont actuellement à l’hôpital, le fait de trouver un moyen de soigner la maladie en cours, ce serait déjà une manière bien précieuse d’arrêter la catastrophe. Donc la partie curative est toujours importante. Mais il y avait un souhait, à juste raison: aller très vite vers la prévention. Il y a eu quelque chose de tout à fait remarquable: l’alliance et la collaboration entre tous les scientifiques concernés de la terre. Un échange de données, un échange d’idées, comme jamais. C’est un très bel exemple – vous verrez que dans les années qui viennent, on reviendra là-dessus – un très bel exemple de solidarité internationale.
Concernant un continent que vous connaissez bien pour y avoir mené de nombreuses recherches, l’Afrique: celle-ci se distingue dans cette pandémie car le nombre de cas y est relativement faible. N’y a-t-il pas un risque qu’elle soit mise de côté dans l’accès aux vaccins, ou au contraire, a-t-elle les mêmes chances de s’en sortir?
Les gens qui s’en occupent doivent la considérer, évidemment, au même titre que les autres. Mais cela entre un peu dans l’éthique médicale. Sur le plan moral, il n’y a pas de raison qu’un pays où il y a moins de cas soit traité différemment de celui où il y en a le plus, sauf, encore une fois, si la médecine le souhaite, le dit, l’envisage. Mais vous vous rendez compte, si l’on disait «numéro un l’Amérique, numéro deux l’Europe, numéro trois l’Afrique», ou je ne sais quoi, ce serait épouvantable. Il faut bien évidemment que ce soit tout à fait global. Si une institution internationale, sous l’égide des Nations Unies ou d’un autre organisme, faisait ce genre de classement, ce serait effrayant d’allure, d’aspect, et il faudrait véritablement le justifier.
Yves Coppens, vous êtes paléontologue, qu’est-ce que votre discipline de recherche et votre expérience vous suggèrent pour affronter cette crise?
Les virus font partie de l’histoire de la vie, et l’histoire de la vie a quatre milliards d’années. Donc il y en aura toujours – enfin il n’y a pas de raison de dire «toujours», puisqu’on n’en sait rien, tout change tout le temps. Il y en a depuis quatre milliards d’années et ce n’est pas surprenant qu’il y en ait encore. L’homme, depuis le Néolithique, c’est-à-dire depuis dix mille ans, ce qui n’est pas grand-chose, a domestiqué l’animal, et l’a donc élevé pour son propre profit. Cet élevage a forcément fait une promiscuité qui a entraîné des échanges, parfois bénéfiques, intéressants pour tout le monde, et parfois maléfiques, cela va de soi. On est donc en face d’une situation qu’il ne faut pas juger; on ne va pas condamner l’humanité de s’être sédentarisée et d’avoir fait des organismes génétiquement modifiés depuis dix mille ans pour son bénéfice, c’est tout à fait normal.
La survie fait partie de la vie de chaque espèce et fait partie de l’obsession de la nature. Heureusement que l’homme, depuis trois millions d’années, a développé sa pensée, ses réflexions, ses recherches, a développé sa science – c’est l’une des grandes qualités de l’homme d’ailleurs. Cette science lui permet d’appréhender un peu l’avenir, mais il faut savoir – même si on l’a su de tout temps – que tant que l’on trouve la parade, tout va très bien, et le jour où l’on ne trouvera pas la parade, l’humanité sera tout à fait en danger, comme elle l’est un peu à l’heure actuelle… Mais il ne faut pas exagérer, car on est allés très vite en développant ces vaccins, dont on ne connaît pas encore tout à fait l’efficacité, d’ailleurs.»
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