Afrique du Sud : xénophobie et corruption, obstacles au vaccin anti-covid
Linda Bordoni – Cité du Vatican
Avec près de 1,5 million de cas de covid et plus de 46 000 décès signalés en Afrique du Sud, le ministre sud-africain de la santé, le Dr Zweli Mkhize, a illustré les plans de distribution de vaccins et de déploiement progressif du processus d'inoculation en commençant par les groupes les plus vulnérables de la population.
Toutefois, après avoir déclaré que l'objectif de la nation est d'obtenir une immunité collective, le Dr Mkhize a annoncé que les vaccins seront limités aux seuls citoyens sud-africains, comme l'ont fait remarquer l'Institut jésuite d'Afrique du Sud et le JRS.
Comme le père Russell Pollitt SJ, directeur de l'Institut jésuite d'Afrique du Sud, le déclare à Vatican News, des millions de réfugiés, de demandeurs d'asile et de migrants sont intégrés dans les communautés sud-africaines. Il souligne qu'ils font partie des membres les plus vulnérables de la société et qu'il faut leur garantir le droit d'accéder aux soins de santé de base. Exclure toute personne de la vaccination implique selon lui, que le virus continuera à se propager, ce qui érodera inévitablement l'objectif et le but de l'immunité collective.
Le père Pollitt déclare qu'à l'heure actuelle il y a beaucoup d'incertitude quant à savoir qui va recevoir le vaccin et qui ne le recevra pas, les travailleurs en première ligne étant identifiés comme les premiers bénéficiaires.
«La seule chose que nous savons, c'est que le ministre de la Santé a déclaré que les migrants et les réfugiés - qui ne sont pas des citoyens sud-africains - seraient exclus de la campagne de vaccination», a-t-il affirmé.
Dans un pays où l'on compte jusqu'à 3 millions de demandeurs d'asile (officiels), et où les chiffres sont probablement beaucoup plus élevés, une telle décision aurait des conséquences très graves : «si nous parlons d'immunité collective et des personnes les plus vulnérables à la covid, on aurait pu penser que le gouvernement aurait dit que ce sont ces personnes qui ont le plus besoin de se voir garantir l'obtention de ce vaccin».
Enjeu politique
«Malheureusement, le jeu politique actuel signifie que les personnes vulnérables seront exclues», a-t-il déclaré. Le père Pollitt souligne également que des élections locales auront lieu cette année en Afrique du Sud. «On ne peut donc que se demander si l'utilisation du vaccin comme ballon politique fait partie de l'élection». Mais en dehors des jeux politiques, le droit de vote (la citoyenneté) ne devrait jamais déterminer l'accès d'une personne à d'autres droits fondamentaux, y compris les soins de santé, estime-t-il.
«Le problème est aussi que si nous voulons traiter efficacement la covid, et qu'ils veulent parler d'immunité collective, plus nous pourrons vacciner de personnes, mieux ce sera : ce sera un gaspillage de l'argent du pays de ne vacciner que certains groupes de la population si cela ne permet pas d'éradiquer le virus», poursuit-il.
Le père Pollitt explique que l'Afrique du Sud est dans une «très mauvaise situation financière», le gouvernement se tournant vers le secteur privé et même vers les donateurs étrangers pour réunir les fonds nécessaires à l'achat du vaccin. «Ce sera encore plus catastrophique si le pays acquiert le vaccin, emprunte l'argent et doit le rembourser, mais ce n'est pas efficace parce que ceux qui en ont besoin ne le reçoivent pas», juge-t-il.
Une exclusion contre-productive
Le directeur de l'Institut jésuite d'Afrique du Sud convient qu'exclure de la campagne de vaccination les migrants et les demandeurs d'asile qui sont très bien intégrés dans la société et les communautés et qui contribuent aux économies locales, constituerait un abus ayant des implications de grande envergure. Dans une ville comme Johannesburg, qui est en grande partie habitée par des migrants venus de tout le continent africain, «il y a probablement 30, 40 nations représentées dans le seul "Johannesburg City bowl"», décrit-il. L'Afrique du Sud, poursuit-il, accueille des migrants depuis de nombreuses années.
Cependant, ajoute-t-il, «malgré le fait qu'ils contribuent à l'économie locale, beaucoup d'entre eux dirigeant des entreprises ou cherchant à utiliser leurs services professionnels pour le pays, (...) nous constatons l'horrible montée de la xénophobie qui semble toujours se cacher sous la surface de la société sud-africaine».
Une xénophobie profondément enracinée
On ne peut que se demander, poursuit le père Pollitt, «si cette déclaration du ministre de la Santé sur les vaccins n'est pas un signe supplémentaire de ce genre de xénophobie qui, même si le gouvernement le nie, est toujours dans l'ADN de ce pays, et est toujours tapie sous la surface».
Les Nations unies, les organisations des droits de l'Homme, les voix chrétiennes et la voix du Pape François lui-même, ont mis en garde à plusieurs reprises contre les «nationalismes vaccinaux» et ont appelé à une distribution équitable du vaccin covid-19 au profit de l'humanité tout entière. Le père Pollitt note qu'en Afrique du Sud, cette question a effectivement été soulevée.
«Par exemple, les gens dans l'Église soulèvent la question et disent qu'il est important de s'assurer qu'il y ait un partage équitable du vaccin, mais dans le monde de la politique, malgré ce que l'Organisation mondiale de la santé ou le Pape François ou n'importe qui d'autre dit, dans le monde de la politique et dans un système où la corruption est endémique, ces voix sont reconnues et même citées... mais elles n'agiront certainement pas en fonction de ce qu'elles entendent», dit-il.
La scène publique est pleine de politiciens qui font des déclarations et disent des choses comme «personne n'est en sécurité tant que tout le monde n'est pas en sécurité», mais cela ne signifie pas qu'ils agiront en conséquence.
Accueillir, protéger, promouvoir, intégrer les migrants et les réfugiés
Notant qu'un grand nombre de migrants et de réfugiés qui vivent actuellement en Afrique du Sud y sont depuis dix, vingt, trente ans, le père Pollitt rappelle qu'il ne faut pas s'interroger sur leur droit à recevoir le vaccin. De plus, les réfugiés et les demandeurs d'asile sont légalement sous la protection du gouvernement et devraient avoir le droit d'accéder aux soins de santé de base.
«Cela ne semble pas se traduire dans la réalité avec le leadership dont nous disposons», reconnaît-il. «Ces appels d'organisations telles que l'OMS ou le Saint-Père lui-même sont inaudibles car la corruption est désormais endémique en Afrique du Sud et dans la politique sud-africaine».
Fuir la pauvreté et la violence au Zimbabwe et au Mozambique
Il s'agit d'un scénario complexe et à multiples facettes : l'Afrique du Sud est en mauvaise posture financièrement, mais c'est l'une des nations les plus développées du continent africain, et la plupart des migrants, réfugiés et demandeurs d'asile dans le pays fuient la pauvreté et les conflits dans leur pays.
«Si vous regardez au nord de nos frontières», remarque le père Pollitt, «nous avons le Zimbabwe. Il n'y a pas beaucoup d'informations sur le Zimbabwe pour le moment, mais les jésuites m'ont dit que la situation est désastreuse : les chiffres de la population ne sont pas correctement rapportés, des gens meurent, il n'y a pas de centres de soins, les gens meurent de faim, la capacité du pays à produire de la nourriture pour soutenir sa population s'est effondrée, il n'y a pas d'électricité une grande partie de la journée, les gens souffrent», explique-t-il.
Beaucoup de personnes qui arrivent actuellement dans le pays viennent du Zimbabwe et du nord du Mozambique, où elles fuient les tensions et la violence. «Ils viennent ici pour une vie meilleure, et l'Afrique du Sud leur offre quelque chose de mieux que ce qu'ils reçoivent en ce moment», conclue-t-il, «mais du point de vue des droits de l'Homme, et d'un point de vue chrétien, ce qu'ils reçoivent en Afrique du Sud n'est pas à la hauteur de ce que nous devrions donner à une personne humaine pour nous assurer que nous respectons sa dignité».
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