Paraguay: l'Église dénonce les conditions de vie des prisonniers
Marie Duhamel – Cité du Vatican
Mardi 16 février après-midi, des colonnes de fumée s’élèvent dans le ciel de la capitale, une émeute est en cours dans le centre pénitencier de Tacumbú. Elle durera 24 heures, des centaines de détenus armés de couteaux ont pris en otage leurs gardiens menaçant de les tuer. Après une tentative de négociation menée par la ministre de la Justice, les forces anti-émeutes ont fini par intervenir, repoussant les familles des prisonniers à l’extérieur et parvenant à reprendre le contrôle au sein du centre de détention.
Au final, sept personnes ont perdu la vie, parmi lesquelles trois par décapitation, le modus operandi de certains gangs. Ces morts viennent s’ajouter au 392 autres décès de personnes détenues selon le Mécanisme national de prévention de la torture, un organe public.
Au lendemain du drame, le journal La Nacion affirmait que seuls deux des sept prisonniers décédés avaient été condamnés, les autres étaient en attente d’un jugement.
Sur son site internet, la Conférence épiscopale paraguayenne a présenté ses condoléances et sa proximité spirituelle aux personnes affectées par ces événements, avant d’évoquer les «terribles conditions de détention» aujourd’hui dans le pays.
«Les faits montrent qu'il ne fait aucun sens d'avoir une superstructure pour détenir les personnes en attente de jugement, si une forte corruption continue de régner dans les prisons, et si une réforme profonde des prisons n'est pas réalisée», écrivent les évêques.
Détentions arbitraires et prisons saturées
L’insécurité s’est développée tout comme la puissance des gangs dans les prisons en raison des mauvaises conditions de vie des détenus. Manque d’accès aux soins, à la nourriture, à un lit, car la population carcérale du Paraguay a connu une croissance exponentielle. La plupart des 18 pénitenciers ont été construits à partir des années 2000. Avec les centres pour adolescents, ils disposent de près de 10 000 places pour quelque 14 000 détenus aujourd'hui, contre environ 3 200 en l’an 2000, souligne El Pais. Or, la plupart de ces personnes sont incarcérées sans avoir vu de juge… Le chiffre s’élevait à 77% des détenus en 2019.
Dans leur message, les évêques déplorent l'absence d'action efficace pour «réduire la population carcérale non définitivement condamnée et éviter la surpopulation, qui porte atteinte aux droits fondamentaux de tout être humain». Ils y expriment également leur préoccupation face à «l'extrême violence avec laquelle agissent les groupes criminels de plus en plus nombreux et violents, qui conditionnent les autorités nationales par le chantage et ont le contrôle de la population carcérale».
Selon le gouvernement, ce n’est pas la guerre que se livre le clan Rotela de la mafia paraguayenne et le groupe brésilien First Capital Command (PCC), la plus grande organisation criminelle d'Amérique du Sud, qui est à l’origine de l’émeute, mais le transfert d'un détenu du PCC qui distribuait de la drogue à l'intérieur de la prison. L’affaire n’est pourtant pas anecdotique selon Dante Leguizamón, un avocat paraguayen, expert du système pénitentiaire et ancien président du Mécanisme national de prévention de la torture interrogé par le journal El Pais. «Ils disent que c'est à cause du transfert d'un prisonnier, mais le transfert n'est pas décisif. La lutte interne entre les clans est due au fait qu'il existe une importante autonomie de la part des personnes privées de liberté». Pour lui «l'État a une très faible capacité de réaction et d'administration en raison des conditions précaires dans lesquelles il opère».
Comme de nombreux acteurs de la vie paraguayenne, les évêques appellent à une réforme du système pénitentiaire. Ils rappellent que «beaucoup de ceux qui sont privés de leur liberté et qui purgent une peine, ou qui attendent que la justice agisse conformément à la loi, ont des rêves et des espoirs, ont des familles qui les attendent et veulent vraiment être réintégrés dans la société». Les évêques exhortent le gouvernement, le pouvoir judiciaire et le corps législatif à redoubler d'efforts pour changer la loi et leur regard, pour avoir «un regard plus humain envers ceux qui sont privés de leur liberté et qui méritent une seconde chance, ce qui est un bénéfice pour toute la population».
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