En Irak, le difficile retour à la vie des Yazidis
Entretien réalisé par Xavier Sartre – Cité du Vatican
L’horreur d’un génocide, le père Patrick Desbois connaît. Il a longtemps travaillé sur la Shoah par balles, effectuant un travail fouillé sur ce pan méconnu de l’extermination des juifs par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, il travaille en faveur des Yazidis, une des plus anciennes communautés irakiennes, dépositaire d’une religion très ancienne, apparentée au zoroastrisme. Les Yazidis ont toujours été persécutés au cours des siècles, leurs croyances étant incomprises. Les djihadistes de l’organisation de l’État islamique, les ont poursuivis de leur haine au motif qu’ils étaient des «adorateurs du diable».
Trois ans après la défaite de Daech et la chute de son «califat», les Yazidis pansent leurs plaies. Le père Desbois leur vient en aide via l’association Yahad in unum qu’il préside. Grâce au programme «back to life» -retour à la vie-, il participe à la réinsertion des femmes et des enfants yazidis du point de vue social, professionnel et psychologique dans quatre centres situés dans le nord de l’Irak. Il documente aussi les crimes commis par les djihadistes ces dernières années. À chaque rencontre avec un survivant, il mène un entretien enregistré pour garder une trace des exactions perpétrées.
Les Yazidis, victimes d’un génocide
Le calvaire des Yazidis commence en août 2014 quand Daech lance son offensive sur Mossoul et la plaine de Ninive. Les Yazidis qui n’ont pas fui malgré la menace, sont contraints par les djihadistes de se convertir à l’islam dès qu’ils sont arrêtés à la sortie des villages. Ceux qui refusent «sont fusillés tout de suite», explique le père Desbois. Très vite, l’ONU et divers États qualifient les crimes de Daesh comme «génocide». «Ne plus être yazidis ou mourir»: c’est l’alternative laissée à ces hommes et ces femmes, contraints de renier leur foi, leur identité et d’adhérer à l’EI.
Dès la prise de contrôle des territoires des Yazidis, les nouvelles autorités du califat «dépècent» les familles, «arrachent les nouveau-nés à leurs mères» précise le père Desbois. «Les jihadistes ont sélectionné les jeunes filles qui étaient vierges avec l’aide de docteurs, puis vendues par groupe de cent, deux-cents, vendues et revendues», précise-t-il. Selon les estimations de l’association Yahad in unum, ces femmes sont passées entre les mains de 25 à 35 hommes. Quant aux hommes et aux personnes âgées, ils ont été le plus souvent tués.
Rôle essentiel des passeurs
«Les Yazidis qui ont pu échapper à l’emprise de Daech ont très vite compris qu’ils étaient seuls», relève père Desbois. Ils s’organisent vite pour arracher leurs femmes et filles des griffes des djihadistes. Des passeurs, yazidis pour la plupart, mais aussi kurdes, parvenaient à localiser les femmes, à les contacter et à monter des réseaux. Parfois, c’est le djihadiste qui revend sa captive, par besoin d’argent: 25 000 dollars pour une fille, 15 000 pour un garçon.
Si les profils des passeurs sont très différents, tous en commun d’avoir «choisi la vie», affirme le prêtre. «Ils ont sauvé des milliers de vies». Pour rendre compte de leur action, le père Desbois a rassemblé plusieurs histoires dans un ouvrage: les larmes du passeur, préfacé par Béate et Serge Klarsfeld, aux éditions du Rocher.
Un retour entre joie et effroi
Le retour à la vie de ces femmes n’est pas facile. Beaucoup d’entre elles ont perdu tous les hommes de leur famille. Elles doivent donc subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants toutes seules. Certaines ne surmontent pas le traumatisme et se suicident. «Mais globalement les femmes ont une force de rebond», estime le président de Yahad in unum. Pour les garçons, «c’est autre chose». «Ils ont été emmenés dans des camps d’entrainement, ils ont étudié dans des écoles islamiques pendant un an et demi, ils ne se souviennent pas de leur langue d’origine ; tel enfant parle le turc, le russe, l’anglais, parce qu’ils ont été acheté par des daesh de ces pays-là. Il y a une réadaptation au langage, et un travail pour sortir de cette emprise de Daech».
Ces survivants peuvent compter sur leurs familles qui les accueillent avec «joie», mais aussi avec «effroi». Joie de retrouver quelques parents alors que des dizaines d’autres ont été massacrés ou n’ont pu s’échapper. Effroi car certains enfants, surtout les garçons, sont devenus djihadistes. Le père Desbois raconte l’entretien qu’il a eu avec une femme revenue du califat avec son garçon.
«Toutes les cinq minutes, durant l’interview, il s’arrêtait et criait “Allah Akbar, longue vie à Bagdadi” (le chef de Daech). À la fin de l’entretien, il a demandé au cameraman de lui donner son sac en disant: “je vais tous vous faire exploser“. Cet enfant ne savait plus du tout qui il était».
Aujourd’hui, les Yazidis aspirent à retrouver les derniers membres de leur communauté encore entre les mains de Daech. Ceux qui ont fui à l’étranger n’ont pas encore l’envie de revenir. Le souvenir des crimes de Daesh est encore trop proche, et la trahison de certains de leurs voisins trop douloureuse pour espérer réinstaurer un climat de confiance propices au retour. «Après un génocide, les victimes n’en ont pas fini», rappelle le père Desbois, conscient du long chemin qu’elles devront parcourir pour guérir, s’il en est possible, de ce long cauchemar.
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