Une ville du Mozambique prise par des jihadistes proches de l’État islamique
Marine Henriot - Cité du Vatican
Cette attaque dans le nord-est du Mozambique a débuté mercredi 24 mars. Ce lundi, des milliers de personnes tentaient toujours de fuir par tous les moyens la région, des dizaines de personnes ont été tuées, les autorités ne fournissant pas de bilan précis. Le gouvernement mozambicain a confirmé dimanche soir qu'au moins sept personnes avaient été tuées dans une embuscade vendredi, en tentant de s'échapper d'un hôtel où elles s'étaient retranchées.
La ville portuaire de Palma comptait à l’origine 75 000 habitants, elle est située à seulement une dizaine de kilomètres d'un site gazier piloté par le groupe français Total, un méga-projet de vingt milliards de dollars, censé être opérationnel en 2024.
Les terroristes, qui ont prété allégeance à l’organisation de l’Etat Islamique (EI) en 2019, violentent depuis plusieurs années la province musulmane de Cabo Delgado.
Qui sont ces jihadistes ?
Apparu dans la fin des années 2000 ,«c’est un groupe qui passe à l’action armée à partir de 2017», nous expliquait en août dernier Matteo Puxton, historien, spécialiste de la propagande militaire de l’État islamique. L’EI intervient dans les projets du groupe «à partir de juin 2019, et commence à revendiquer des opérations au Mozambique» menées par les membres d’al-Shabab, «une accélération des actions militaires, notamment à partir de l’automne 2019» est évidente. Le groupe s’arme de plus en plus, attaque davantage les autorités, et plusieurs villes et villages du nord du Mozambique tombent entre ses mains depuis le début de l’année 2020.
Le groupe Ahlu Sunna wal Jamaa, «très local», «veut appliquer la charia et son interprétation de l’Islam à l’ensemble des musulmans de la province», et s’en prennent donc aux civils, avec un mode d’action qui rappelle celui de Boko Haram au Nigéria: les enlèvements de femmes sont toujours plus fréquents.
Une région fertile au terrorisme
Malgré la découverte de gigantesques réserves de gaz en 2013 et l’exploitation de gisements de pierre et de rubis, la région souffre d’une pauvreté accrue. Le développement de l’industrie est en cours et des groupes industriels, comme Total ou Eni, y développent des ports et aéroports pour exploiter les richesses naturelles. Un développement industriel qui ne profite pas, ou peu, à la population, suscitant une certaine aigreur de la part des locaux. «Il y a beaucoup de tensions et de ressentiment, les gens se plaignent qu’ils perdent leurs terres au profit des entreprises», déclarait quant à lui le chercheur Eric-Morier Genoud, de l’université Queen’s à Belfast en Irlande du Nord, il y a un an. La situation aiguise les tensions existantes.
Dans la province de Cabo Delgado, l’économie informelle ou illégale est reine, et nombreux sont ceux qui subsistent avec le trafic de bois ou d’héroïne. Isolement, faible présence de l’État, pauvreté… Le terreau est fertile pour les groupes djihadistes, et compte une forêt dense, propice à l’installation d’une insurrection armée.
Risque d’internationalisation
L’État mozambicain, qui auparavant évoquait des «bandits» dans la province de Cabo Delgado, peine à faire face. Il a notamment fait appel à des sociétés étrangères pour instaurer l’ordre. «Des mercenaires étrangers sont arrivés, comme Wagner, une société privée proche du Kremlin, venue sans grande préparation», relevait déjà en avril dernier Eric Morier-Genoud, ajoutant que sont également arrivés des mercenaires, sud-africains notamment. Ces mercenaires, qui débarquent sans être bien préparés, font craindre l’arrivée d’autres sociétés privées. «Ces sociétés sont là avant tout pour faire de l’argent, et non des relations avec la population», affirmait le chercheur. Leur présence risque en effet d’enflammer et d'internationaliser la situation dans cette poudrière nord-mozambicaine.
En novembre 2020, le père Angelo Romano, de la Communauté de Sant'Egidio, décrivait une «situation très préoccupante». Les terroristes mènent actuellement une vaste offensive et ciblent les civils. «Ils attaquent des villages jusque-là épargnés», précisait-il. «Leur objectif est de terroriser la population et de créer un certain vide autour des zones qu’ils contrôlent».
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