«Dix ans plus tard, le destin de la Syrie échappe aux Syriens»
Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
C’est un anniversaire amer et douloureux: une décennie de guerre, sans perspective de renaissance. Le conflit syrien a commencé le 15 mars 2011, lorsqu’une partie de la population décide de se soulever contre la dictature de Bachar al-Assad. Dans la lignée du «Printemps arabe» initié en Tunisie et en Égypte, un premier rassemblement a lieu à Damas pour «une Syrie sans tyrannie». Trois jours plus tard, à Deraa, dans le Sud, trois manifestants sont tués par les forces de police, alors que plus de 3000 personnes réclament des réformes et exige la libération de quinze enfants emprisonnés pour avoir écrit des graffiti inspirés des révolutions maghrébines sur des murs de la ville. C’est le début d’une répression sans relâche des contestataires. Au fil des années le conflit s’enlise, sous les yeux impuissants de la communauté internationale. De nombreux belligérants se sont aussi engagés.
Un lourd bilan humain
Après son arrivée à la présidence en 2000, et après une décennie de guerre, Bachar al-Assad règne toujours sur la Syrie. Mais le pays ne ressemble plus à celui qui faisait autrefois, par son raffinement, la fierté du monde arabe. L’économie est en lambeau, la population décimée, le territoire morcelé. Selon un bilan publié ce 14 mars par l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme, la guerre a fait plus de 388 652 morts, sans inclure les milliers de personnes mortes des suites de la torture dans les geôles du régime.
Près de la moitié des morts recensés sont des civils, dont 22 000 enfants. Par ailleurs plus de la moitié de la population d’avant-guerre (22 millions d’habitants) a fui, et quelque 200 000 personnes ont disparu.
Un «protectorat russo-iranien»
Fabrice Balanche, maître de conférences en géographie à l’université de Lyon II, observe toutefois que Bachar al-Assad «a conservé une certaine assise» au sein de la population, dont au moins un-tiers lui est favorable– principalement des minorités du pays.
Il peut aussi compter sur le soutien de pays étrangers, tels que l’Iran dès 2012 et la Russie à partir de 2015. Ainsi «le destin de la Syrie échappe complètement aux Syriens. Ce sont les puissances étrangères qui contrôlent le territoire», affirme-t-il. Le pays est devenu «un protectorat russo-iranien». Au Nord, la Turquie occupe une partie du territoire contre les Kurdes. Idleb reste enfin une enclave rebelle contrôlée par les djihadistes. L’Occident quant à lui ne semble plus avoir d’influence sur le déroulement des évènements.
Des élections présidentielles sont prévues en juin, mais «il ne fait pas de doute que Bachar sera réélu après un simulacre d’élections», selon Fabrice Balanche.
Un drame humanitaire sans fin?
Le dictateur n’a désormais d’autre ambition que de reconquérir le territoire - l'armée syrienne ne contrôle plus que 20% de ses frontières. Il doit aussi tenter de «reconstruire un contrat social avec la population» restante. N’ayant plus de pétrole ni d’argent, l’unique solution pour al-Assad est de redistribuer aux Syriens les biens de ceux qui sont partis, afin d’acheter leur soutien.
Comme l’explique Fabrice Balanche, l’avenir est évidemment sombre, et aucune concession vers davantage de démocratie n’est à attendre. La revendication initiale de la population «aura été une utopie».
La Syrie est désormais «dans une situation humanitaire catastrophique», alerte le spécialiste du pays. Les sanctions ne punissent pas le régime responsable de la guerre, «mais la population».
«On est en train de créer les causes des problèmes futurs», avec une génération de jeunes ayant grandi pendant la guerre, sans éducation, et constituant une cible facile pour les djihadistes avides de les recruter.
Il est donc urgent que des personnes «de bonne volonté» se réunissent pour venir en aide aux Syriens, estime Fabrice Balanche. Autrement, au lieu d’un rêve de démocratie ne se déploiera que la réalité cauchemardesque du désastre humanitaire.
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