Le détroit de Bab-El-Mandeb, une autre Méditerranée pour des migrants en quête de paix
Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
Yémen et Corne de l’Afrique: un ensemble de pays à feu et à sang depuis plusieurs d’années, le plus souvent en raison de guerre civiles qui jettent les habitants sur les routes de l’exil. 37 500 personnes en provenance de la Corne de l’Afrique ont ainsi rejoint le Yémen en 2020 – contre 138 000 en 2019 - selon l’OIM, l'Organisation Internationale pour les Migrations. Les traversées nourrissent la cupidité des passeurs, et tournent parfois au drame. Dans la nuit du 11 au 12 avril dernier, une embarcation clandestine a ainsi fait naufrage au large des côtes djiboutiennes, faisant 50 victimes.
Mgr Giorgio Bertin O.F.M. est évêque de Djibouti depuis 2001 et administrateur apostolique de Mogadiscio depuis 1990, ainsi que président de Caritas Djibouti et Somalie, et nous en dit plus sur ces flux de migrants.
C’est un phénomène qui continue, en dépit de la situation difficile et très chaotique au Yémen. Dans les années 1990 jusqu’en 2011, il y avait beaucoup de migrants, de réfugiés, qui passaient au Yémen en provenance de l’Ethiopie surtout, mais aussi de la Somalie. Le phénomène a continué quand a commencé la guerre civile au Yémen, ce qui est un peu étonnant. Je pense qu’il s’agit, surtout du côté éthiopien, d’un phénomène d’ignorance de la vraie situation au Yémen. Ils «rêvent» disons d’arriver, en traversant le Yémen, en Arabie Saoudite, en dépit de tous les risques là-bas: risque d’être maltraités, vendus, et risque de la traversée de la mer, particulièrement du détroit de Bab-El-Mandeb.
Y a-t-il à l’inverse des Yéménites qui arrivent à Djibouti?
Au début de la guerre civile au Yémen en 2015, il y a en a eu un bon nombre, une dizaine de milliers, mais ils ne sont pas très nombreux. À part les Yéménites, il y a un bon nombre de Somalis qui essaient de rentrer en Somalie ou bien à Djibouti pour ensuite aller dans des camps de réfugiés à Djibouti ou passer en Somalie. Et il y a surtout un certain nombre d’Éthiopiens, qui vu la situation catastrophique au Yémen, essaient de rentrer. Depuis ces deux dernières années, la situation de la traversée du détroit de Bab-El-Mandeb fait sans doute la fortune des passeurs. Ils arrivent ou bien ils partent d’Obock, à Djibouti, chargés, surchargés, et ils reviennent chargés aussi de migrants, de réfugiés.
Que fait Caritas Djibouti auprès des migrants?
Il y a un an ou deux, nous sommes intervenus pour des cas individuels de familles extrêmement pauvres auxquelles on a donné de la nourriture, des soins médicaux, et on a même fait un petit projet adressé aux femmes yéménites, projet de couture et de coiffeur: une trentaine de femmes ont participé à ce cours que nous avons donné. On continue. Dernièrement nous avons donné assistance surtout à des migrants mineurs qui reviennent du Yémen ou qui arrivent à Obock. Ils se rendent compte du malheur auquel ils vont faire face et décident alors de faire demi-tour. En collaboration avec l’OIM, nous leur donnons la possibilité de passer quelques nuits ici, dans notre auberge de nuit, dans le centre de Caritas Djibouti, tant qu’ils ont le certificat de négativité à la Covid-19, et qu’ils ont leur billet d’avion pour retourner en Éthiopie.
Étant donnée la situation actuelle en Éthiopie, ces personnes-là ont-elles vraiment envie d’y retourner?
Un certain nombre ont envie d’y retourner, vu que la majorité d’entre eux viennent de l’Oromia, qui semble un peu plus calme. Mais face aux grandes difficultés au Yémen, et à la traversée de Obock au Yémen, certains se rendent compte que c’est peut-être mieux, que c’est un moindre mal de retourner en Éthiopie.
Sur d’autres routes migratoires, les personnes migrantes sont sujettes à des trafics, des violences, des tortures, est-ce le cas aussi pour ces migrants qui passent du Yémen à Djibouti, et inversement?
Oui bien sûr. Le cas le plus fréquent survient en traversant la mer Rouge, le détroit de Bab-El-Mandeb. Le passeur charge au-delà de la capacité du bateau, donc il y a souvent des naufrages, et ils sont souvent obligés de se jeter à l’eau. Dernièrement, peut-être une trentaine de personnes se sont noyées, obligées par les passeurs de se jeter à la mer.
Qu’est-ce qui est fait pour limiter l’activité des passeurs?
Du côté du Yémen, je pense que c’est presque impossible, vu la situation chaotique et anarchique dans laquelle vit une grande partie du pays. Du côté de Djibouti, il y a l’intervention des garde-côtes, mais ce n’est pas suffisant, parce qu’il faudrait y avoir des patrouilles qui soient là jour et nuit. Les possibilités des garde-côtes djiboutiens sont plutôt limitées.
La tragédie des migrants en Méditerranée est connue, beaucoup moins concernant le Golfe d’Aden. Avez-vous un appel à passer à propos de cette situation?
Oui, c’est un appel que j’avais fait en 2004 et que j’ai répété plusieurs fois dans quelques interventions: il ne faut pas être seulement eurocentrés dans nos approches, mais regarder la situation des migrants et réfugiés qui sont nombreux en d’autres endroits du monde. Il faut éviter de regarder seulement ce qui se passe «à la maison», et avoir un regard un peu plus vaste.
Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici