Israël: les violences entre Juifs et Arabes inquiètent l'Église
Manuella Affejee - Cité du Vatican
La bande de Gaza soumise à d’intenses frappes aériennes de Tsahal; le sud d’Israël sous le feu des missiles envoyés par des factions palestiniennes depuis le territoire palestinien: depuis lundi, le dramatique scénario se répète sous les yeux d’une communauté internationale impuissante à obtenir des deux parties la désescalade qu’elle ne cesse de réclamer. Le bilan humain est déjà lourd: 119 Palestiniens, dont 31 enfants, ont été tués dans la bande de Gaza, et 830 personnes ont été blessées; côté israélien, l’on comptabilise 8 décès parmi les civils.
Mais aujourd’hui, ce sont les violentes émeutes survenues dans plusieurs villes judéo-arabes d’Israël -telles Lod, Acre ou Jaffa- qui inquiètent davantage. De jeunes arabes se mesurent à des militants juifs d’extrême-droite, dont des colons venus de Cisjordanie pour en découdre. Face à eux, une police israélienne débordée, malgré l’arrivée de renforts. Lynchage et agression d’Arabes ou de Juifs, incendies de voitures, de magasins et de synagogues… Ces scènes inédites en Israël choquent et font planer la menace d’une guerre civile.
Le père Hanna Kildani est le vicaire du patriarche latin de Jérusalem pour Israël. Si le calme règne actuellement à Nazareth -sa ville de résidence- il note malgré tout un climat de peur parmi les habitants de cette ville arabe israélienne:
Ce matin j’étais chez mon dentiste arabe, et je lui fais remarquer qu’il n’y a pas beaucoup de clients. Il me répond que tous ses clients juifs qui habitent autour de Nazareth et ont l’habitude de venir chez lui ne viennent pas car ils ont peur. Et vous avez beaucoup d’Arabes, surtout des jeunes, qui travaillent dans des villes juives des environs, mais n’osent pas y aller car ils ont peur aussi.
Hier matin, je suis allé à Haïfa, car un fidèle de la paroisse catholique latine a vu ses filles et sa maison attaquées par des Juifs fanatiques. J’étais à ses côtés pour le soutenir et il m’a raconté que les agresseurs ne sont pas de la ville de Haïfa mais viennent d’ailleurs. C’est la même pour les Juifs: ils ont peur des Arabes.
Il faut dire également que, parfois, la police n’essaie même pas de protéger les gens. Beaucoup d’Arabes n’ont plus confiance en elle. Ils voient que la police est très dure avec eux, et très «gentille» avec les Juifs. Cela crée un climat de suspicion, de malaise.
La coexistence entre Juifs et Arabes est-elle vraiment menacée aujourd’hui en Israël ?
Oui, elle est menacée. Elle a toujours été fragile, et il y a eu des incidents par le passé, mais alors, le gouvernement d’Israël était, je le crois, plus sage. Aujourd’hui c’est un gouvernement d’extrême-droite, dur avec les Arabes. Rappelez-vous la loi sur l’État-nation (adoptée en juillet 2018, ndlr), qui affirme qu’Israël est un pays pour les Juifs ; qui fait de la langue arabe, autrefois officielle, une langue secondaire.
Vous avez des ministres, des parlementaires qui encouragent la violence. Avant il y avait des gens sages, tant parmi les Juifs que les Arabes, pour calmer les jeunes gens. Aujourd’hui, ceux-ci, qu’ils soient juifs, musulmans, ou chrétiens, n’écoutent plus leurs anciens. Donc oui, la coexistence est menacée.
Je crois que le gouvernement israélien doit encourager les jeunes à la rencontre et au dialogue. Aujourd’hui, on ne se parle plus, on s’insulte, on attaque. Il y a un manque de confiance. Alors, que faire ?
Quel appel l’Église catholique latine, que vous représentez en Israël, voudrait-elle lancer ?
Nous, Église catholique en Israël ou en Palestine, nous avons une mission de réconciliation. C’est encourager nos paroissiens, ainsi que les musulmans et les juifs, à dialoguer avec sincérité, à s’accepter les uns les autres, à laisser ouvertes les portes de nos cœurs. C’est cela qui est nécessaire aujourd’hui. D’ouvrir les portes de nos cœurs, de nos écoles, institutions, églises, synagogues et mosquées. Il y a beaucoup de jeunes qui ignorent l’autre, qui ignorent ce qu’est une mosquée, une église ou une synagogue !
Dans nos écoles, nous acceptons toutes sortes d’élèves : chrétiens, musulmans, druzes… On y encourage les enfants à se comprendre, à respecter la religion de l’autre, ses symboles. C’est notre pays, le pays de Jésus, des musulmans, des juifs et des chrétiens, des Arabes et des Juifs. La volonté de Dieu, c’est que nous vivions cette diversité, ce pluralisme. Accepter l’autre tel qu’il est, le comprendre. Que les juifs, les musulmans et les chrétiens aient ce courage de dire à l’autre: «je t’aime et je te respecte. Tu es mon concitoyen, tu es mon partenaire dans ce pays». C’est cela qui nous manque en Terre Sainte.
À noter que le patriarcat latin de Jérusalem invite les fidèles à une prière d'intercession "urgente pour la justice et la paix" le 22 mai, jour de la Pentecôte.
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