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Prise en charge d'une femme atteinte du coronavirus à l'entrée d'un hôpital de Katmandou, au Népal, le 13 mai 2021. Prise en charge d'une femme atteinte du coronavirus à l'entrée d'un hôpital de Katmandou, au Népal, le 13 mai 2021. 

Coronavirus: le Népal frappé de plein fouet par la vague indienne

Relativement épargné au début de la pandémie de coronavirus, le Népal subit depuis quelques semaines une accélération brutale des contagions et des décès. Le père Yann Vagneux, missionnaire des MEP actuellement confiné à Katmandou, décrit une situation dramatique qui s'inscrit en continuité avec la tragédie vécue par l'Inde voisine.

Cyprien Viet - Cité du Vatican

L’accélération brutale de la pandémie de coronavirus en Inde depuis le mois d'avril touche désormais aussi le Népal, avec quelques semaines de décalage. Ce pays de 28 millions d’habitants, enclavé entre les “géants” indien et chinois, a vu le virus se propager sans réelle anticipation de la part du gouvernement, enlisé dans une crise interne à la mouvance maoïste au pouvoir.

Pour le moment, le bilan officiel fait état d’environ 5000 morts et 450 000 contaminations au total, mais ces chiffres sont probablement sous-estimés en raison du manque de tests disponibles et de la faiblesse du maillage administratif. Le virus se propage dans un pays extrêmement fragilisé depuis un an, compte tenu de l’effondrement du tourisme et du chômage de nombreux travailleurs népalais de l’étranger, dont les salaires faisaient vivre la plupart des familles.

Le père Yann Vagneux, prêtre des Missions Étrangères de Paris, partage habituellement son ministère entre le Népal et la ville de Bénarès, cœur spirituel de l’hindouisme en Inde. Actuellement confiné à Katmandou, il témoigne de la situation de ce pays enclavé dans l’Himalaya et directement affecté par l’effondrement sanitaire de l’Inde.

Entretien avec le père Yann Vagneux

Il y a une ambiance très étrange dans la ville, qui est déserte en fait. Je dirais que presque 20 % de la ville s’est vidée, avec tous ces gens des campagnes qui viennent travailler à Katmandou, et qui sont partis. Et donc il y a un grand silence dans Katmandou. Je suis allé voir au grand temple le lieu où on fait les crémations des gens décédés du Covid, et de fait ça brûle énormément.

Donc Katmandou est très contaminé, mais aussi la plaine avec la frontière poreuse, où les Népalais qui travaillaient en Inde sont en train de rentrer, c'est très contaminé aussi. Et que dire des vallées montagneuses, on m’a dit que le virus est même arrivé au Mustang, une région à la frontière du Tibet.

Les chiffres globaux ne veulent pas dire grand-chose. Mais ce que l’on sait, c'est qu’aujourd'hui les hôpitaux dans le Népal n’ont plus un seul lit disponible pour les soins intensifs, et n’ont plus d'oxygène. Quand on a le Covid aujourd’hui à Katmandou, ce n’est pas la peine d’aller à l’hôpital. La courbe évolue en parallèle à celle de l’Inde. On n’aurait jamais imaginé ça, c’est venu très brutalement au Népal, avec la vague de l’Inde qui a reflué, avec tous les travailleurs. Et on sait qu’on a entre 15 jours et un mois de délais avec l’Inde. Je regardais la courbe de l’Inde, peut-être qu’elle est en train d’amorcer un raplatissement. Mais la courbe du Népal monte toujours en flèche.

Et comment s'explique, selon vous, cette surmortalité, cette propagation agressive du virus ? Est-ce que c'est lié, par exemple, à la pollution à la promiscuité, ou encore au laxisme des autorités ?

Le gouvernement a été aussi laxiste qu’en Inde, car il suit toujours l’Inde. À partir du moment où l’Inde s’est relâchée, quand Narendra Modi a déclaré à Davos que l’Inde avait vaincu le coronavirus, le Népal s’est lui-même relâché. Il y a eu un premier confinement très strict au printemps 2020 et à l’été 2020 lors de la première vague, mais ensuite le Népal s’est relâché. Il n’y a pas eu de préparation pour la deuxième vague, les hôpitaux n’ont pas été développés, il n’y a pas eu de réserve d’oxygène, ni de tests PCR suffisants. Ensuite, le gouvernemnt est en crise politique depuis presque un an. Il est beaucoup plus préoccupé de sa propre survie que de la préparation du Covid.

Ensuite il y a la promiscuité. Il est évident que les Indiens n’ont pas de chambre personnelle, d'abord parce que ils ont peur de dormir tout seul, et puis il n’y a pas assez d'espace. Mais il y a un petit peu moins de promiscuité à Katmandou, même si la population est hallucinante.

La pollution est aussi un problème. Katmandou était la ville la plus polluée du monde au mois de mars, on a vraiment eu des journées terribles de pollution. Autant l’Inde que le Népal sont des peuples qui ont beaucoup souffert, qui ont l'habitude de souffrir. Concernant le Népal, on peut penser au récent tremblement de terre de 2015 qui avait fait plus de 20 000 morts à l'époque. Ces personnes ont l'habitude d'avoir affaire à des tragédies, mais je ne pense pas de cette ampleur.

Est-ce que l'effondrement économique risque de faire repartir la population plusieurs décennies en arrière en terme de niveau de vie, ou est-ce que les Népalais et les Indiens ont les moyens d'adapter leur vie à ce nouveau contexte ?

Ce n’est pas que "ça va les faire repartir en arrière", c'est que c'est déjà reparti, avec cette catastrophe économique. Par exemple, le Népal dépend du tourisme, mais depuis un an, il n'y a plus rien. Il n’y a plus de trekkeurs, il n’y a plus de touristes étrangers. Le trekking concerne non seulement les guides et les agences, mais aussi les petits hôtels, les petits restaurants, donc tout ça c’est fini. Il y a aussi tous ces travailleurs qui ont perdu leur travail en Inde et qui rentrent au Népal.

Et puis il y a eu un grand drame, surtout au premier confinement, celui de tous ces travailleurs népalais à l’étranger. Il y en a dans toutes les familles, à tous les niveaux sociaux, depuis les plus riches jusqu’aux plus pauvres, qui travaillent souvent aux Émirats arabes unis, dans des conditions d’esclavage. Lors du premier confinement, les visas n'avaient pas été renouvelés, et comme il n’y avait plus d'avion, et c’est le même problème aujourd’hui tous ces gens-là sont bloqués, dans les Émirats mais sans travail, ou bloqués au Népal sans pouvoir retrouver leur travail. C’est un immense problème pour tous ces travailleurs à l'étranger, et aussi pour tous ceux qui travaillent à Katmandou, qui sont tous retournés à la campagne.

Les Népalais ont toujours un pied-à-terre à la campagne, pour faire un peu de jardin et trouver de quoi manger. Je ne crois donc pas qu’il y ait de risque de famine. Mais ils sont tout de même en mode survie.

Le drame économique va avoir des répercussions mondiales, d’abord concernant le vaccin, car l’Inde produit 60 % des vaccins anti-Covid dans le monde aujourd'hui, mais elle a très peu vacciné sa propre population. Mais maintenant elle a décidé de garder ses vaccins, elle n’en donne plus au Népal par exemple. Le Népal n’avait déjà pas beaucoup de vaccins, mais maintenant il n’en n’a plus du tout. Avec toutes ces interconnexions, la crise économique va avoir de graves répercussions tout autour.

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18 mai 2021, 11:42