Le rêve de la constituante chilienne de réinventer le pays
Entretien réalisé par Xavier Sartre – Cité du Vatican
Ce ne sont pas les heurts qui ont éclaté aux abords du siège de la Constituante le jour de l’inauguration de ses travaux, le dimanche 4 juillet, qui allaient arrêter l’enthousiasme de ses membres les plus désireux de tourner la page Pinochet. La présidente de l’assemblée, tout juste élue, l’universitaire Elisa Loncón, a réaffirmé avec force que «cette Constituante va transformer le Chili». Cette Mapuche, en tenue traditionnelle et après avoir salué en mapudungun, la langue des Mapuches, a souligné que c’était là un rêve partagé par toutes les communautés du Chili dans leur diversité, le rêve de prendre soin de la Terre Mère, d’accéder aux droits sociaux et au droit à l’eau.
«L’ambition de ce processus constituant va bien au-delà des simples rapports de force entre les pouvoirs», analyse Franck Gaudichaud, professeur en histoire et en études latino-américaines à l’université de Toulouse-Jean Jaurès. «Il y a des attentes très fortes - et elles seront peut-être déçues d’ailleurs - sur les droits sociaux, sur le modèle économique, sur la fin du tout marché et de la privatisation, de la marchandisation. Il y a des attentes très fortes en matière de participation réelle, voire directe de la société civile» précise l’historien.
Si ces aspirations ont été exprimées durant les manifestations du printemps australe de 2019, l’Assemblée est traversée de «contradictions politiques très importantes puisque c’est une convention constitutionnelle très hétérogène socialement et politiquement» prévient-il. Cette Constituante «a été arrachée au terme d’une mobilisation populaire très forte, puisque jusque-là, les élites politiques ne voulaient pas en entendre parler». Les tensions ne devraient pas disparaitre puisqu’une partie des députés issus des manifestations veut un dialogue permanent entre l’Assemblée et la société civile. Un autre risque, c’est celui de voir la Constituante interférer avec le Parlement, surtout dans un contexte où les pouvoirs législatif et exécutifs actuels «sont au plus bas en terme de légitimité politique» reconnait Franck Gaudichaud.
Pourtant, si 40 % des députés sont des indépendants issus de la société civile et en très grande majorité en faveur de profonds changements, les partis politiques traditionnels sont tous représentés et ont déjà mis la main sur les principaux postes au sein de l’Assemblée, étant ainsi en mesure de contrôler ses travaux. L’expérience en la matière paie donc et pourrait freiner les ardeurs réformatrices exprimées il y a presque deux ans.
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