L’éducation pour construire «un Afghanistan libre, multiculturel et spirituel»
Entretien réalisé par Hélène Destombes - Cité du Vatican
Dirigé par Mohammad Hassan Akhund, un ancien proche du mollah Omar, le nouveau gouvernement intérimaire afghan consacre le poids de la ligne traditionaliste. Les représentants des autres factions politiques sont exclus. Les ministres appartiennent presque tous à l'ethnie pachtoune, et aucune femme ne figure dans ce nouvel exécutif.
La vice-présidente de l’Université américaine d’Afghanistan, Victoria Fontan, observe l’évolution de la situation dans le pays, depuis le Kurdistan irakien. Elle a été évacuée d’Afghanistan avec une vingtaine de ses étudiants, après l’arrivée des talibans, à Kaboul, la capitale. Elle témoigne de sa vocation en faveur de l’éducation, des droits des femmes, de sa foi catholique ainsi que des fruits de son travail au terme de près de trois ans de présence dans le pays.
Qu’avez-vous bâti durant ces années passées en Afghanistan ?
J’ai essayé de bâtir une culture de la diversité et de l’inclusion. J’ai fait en sorte que les études de la paix, du multiculturalisme et également du genre deviennent la norme pour vraiment établir un esprit d’ouverture dans notre corps étudiant. L’éducation est le vecteur le plus durable pour un changement de la société.
Vous considérez l’éducation comme une porte d’entrée vers la paix et le respect des libertés de chacun. Comment avez-vous vu évoluer les droits des femmes dans le pays ?
C’est un pays extrêmement conservateur et qui l’était avant l’arrivée des talibans. Les femmes étaient en train d’acquérir des droits dans les secteurs de l’industrie, de l’entreprise privée mais aussi au sein du gouvernement. La place des femmes dans l’espace public restait toutefois un souci, avec par exemple de nombreux cas de harcèlement au travail. Les femmes afghanes avaient réussi à pénétrer cet espace public mais toujours en faisant face à un comportement patriarcal. Maintenant, le système législatif est en train de changer et de nombreuses circulaires viennent de sortir pour limiter l’accès des femmes à cet espace public. Auparavant, c’était tout de même une négociation continuelle et je le constatais dans mon université avec des disparités salariales énormes.
Qu’avez-vous appris en Afghanistan de vos étudiants et de vos étudiantes ?
J’ai reçu par exemple ce matin le mail d’un étudiant qui m’écrit: “je suis déplacé, j’ai fui jusqu’à Kaboul et j’ai vraiment eu peur pour ma vie. Je suis menacé, je passe chaque nuit dans un endroit diffèrent mais même au milieu de ce chaos je continue à m’éduquer et à lire”. C’est cet engagement pour l’éducation et cette soif d’apprendre que mes étudiants m’ont apportée. Parfois je fais le parallèle avec les enfants et étudiants que je vois en France qui n’ont pas vraiment envie d’étudier et qui passent beaucoup de temps sur leur ordinateur, sur les réseaux sociaux et je les compare à mes étudiants qui ont cette soif s’apprendre. Ils m’apprennent à redoubler d’ardeur dans le travail et à conserver cette éthique de travail intact.
Est-ce votre foi qui vous a menée en Afghanistan ?
Oui c’est ma foi, c’est mon engagement spirituel. C’est aussi toute une histoire personnelle qui m’a permis de faire la part des choses entre certaines utilisations de la religion et la foi personnelle ainsi que l’engagement que l’on peut avoir. C’est, en quelque sorte, ma foi qui m’a amenée en Afghanistan mais c’est aussi l’Afghanistan qui m’a reconciliée avec ma propre foi et mon propre engagement catholique, ce à quoi je ne m’attendais pas du tout.
Quel est aujourd’hui votre espoir pour ce pays ?
Je pense que nous sommes parvenus à établir un espace de liberté et un espace sacré non seulement physiquement dans Kaboul avec notre campus mais aussi dans l’esprit de nos étudiants et je sais que cet espace va continuer à fructifier. Aussi mon espoir réside dans le fait que le reste de la population afghane comprenne qu’il faut faire la part des choses entre différents extrêmes. Je sais que la présence internationale en Afghanistan était aussi problématique. Je sais que les talibans sont actuellement en train de réduire certaines libertés. J’espère vraiment que les Afghans parviendront à trouver un chemin, une voie du milieu leur permettant de construire leur propre futur dans un Afghanistan libre, indépendant, multiculturel et spirituel. Cette vision conflictuelle qu’ont les talibans de leur propre pays, ce n’est pas l’histoire de l’Afghanistan, ce n’est pas la culture afghane et je sais que cette culture va renaître de ses cendres un jour.
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