En Bosnie-Herzégovine, face à la crise, la crainte d'un retour à la guerre
Entretien réalisé par Claire Riobé - Cité du Vatican
Au cœur du continent européen, la Bosnie-Herzégovine vit sa plus grave crise politique. Les stigmates du conflit qui a opposé dans les années 1990 des forces serbes, croates et bosniaques, et qui a fait près de 100 000 morts, sont encore visibles partout dans le pays. L’État bosniaque est aujourd’hui divisé en deux entités autonomes, entre la République serbe d’un côté, et la Fédération croato-bosniaque de l’autre, et les partis nationalistes ne cessent depuis d’attiser les tensions entre les trois communautés, qui ne partagent plus grand-chose en commun.
Pour Jean-Arnault Dérens, rédacteur en chef du Courrier des Balkans, «les choses n’ont pas changé depuis 26 ans. Les accords de paix de Dayton, signés en 1995, ont donné la clé des institutions aux oligarchies ethno-nationalistes, qui ont tout intérêt à maintenir les divisions du pays.»
L’impossible réforme de la vie politique
Parmi les deux entités régionales du pays, la fédération bosniaque compte pas moins de dix cantons, auxquels s’ajoute le district inter-entité de Brčko. Avec 13 gouvernements, la classe politique bosniaque est pléthorique, et emploie plusieurs milliers de personnes à travers le pays. La situation pousse les partis ethno-nationalistes à provoquer la division, afin de conserver leur influence au sein de l’État.
Depuis la fin de la guerre, le débat public tourne autour de mêmes questions sans qu’aucune solution ne soit pour autant mise en place. «Par exemple, cela fait 26 ans que l’on entend parler d’une réforme du cadre institutionnel, qui est extravagante et surdimensionnée. Mais en réalité, ceux qui ont les clés de cette réforme, à savoir les partis ethno-nationalistes, n’ont aucun intérêt à la mettre en place», explique Jean-Arnault Dérens. La crise particulièrement grave que connait la Bosnie-Herzégovine intervient ainsi après une succession de crises politiques sans issues.
La menace des élections législatives de 2022
Ces 15 dernières années, la sécession est une menace récurrente utilisée par les partis ethno-nationalistes, en particulier serbes, pour obtenir gain de cause. Fin octobre 2021, le représentant serbe au sein de la présidence collégiale, Milorad Dodik, a réaffirmé son souhait de faire sécession. «Cette fois-ci, la différence est que Milorad Dodik ne se contente pas de parler de la sécession mais (en) a, par certains aspects, déjà engagé des gestes concrets.» La Republika Srpska, l’entité serbe du pays, a quitté plusieurs institutions communes ces derniers mois, dont l’agence de la santé et les forces armées, et menace de recourir à la force.
Pour Jean-Arnault Dérens, le véritable enjeu de ces annonces sont les élections législatives prévues en octobre 2022, dont les résultats menacent les oligarchies ethno-nationalistes. La Republika Srpska, lors des précédentes élections de 2020, avait perdu le contrôle de Banja Luka, capitale de la République serbe. Aujourd’hui, «la réponse naturelle de ces oligarchies, comme toujours, est de susciter une nouvelle crise. Le problème est: face à cette crise, que fait-on ? Tout le monde est démuni, tenter une épreuve de force avec Milorad Dodik risquerait de durcir sa position», affirme-t-il.
Une crise autant interne qu’internationale
Une situation d’autant plus complexe que la crise interne de cet État multi-ethnique risque également d'ouvrir une crise internationale. «Jusqu’à présent, l’Union européenne avait un cadre commun de réponse» aux crises qui agitaient le pays, explique Jean-Arnaud Dérens, tandis qu'aujourd’hui, la communauté internationale, et notamment l’Union européenne, «sont totalement divisées sur la résolution de la crise bosniaque: l’UE n’est pas du tout en mesure de parler d’une seule voix».
«Je pense notamment à la Hongrie de Viktor Orban, ou à la Slovénie, qui soutiennent les revendications serbes, et de l’autre côté le reste de l’UE. La France, pour ne citer qu’elle, brille par son silence absolu.» Ces divisions font par ailleurs le jeu de la Russie, qui soutient l’engagement de Milorad Dodik. «Nous sommes donc dans une situation où il n’y a pas de réponse cohérente à cette nouvelle crise, et c’est bien cela le plus grave.»
Vingt-six ans après la fin d'un conflit ethnique qui a fait près de 100 000 morts, la Bosnie-Herzégovine, au cœur du continent européen, risque à nouveau de se retrouver au centre de nouvelles tensions liées à des fractures mal cicatrisées.
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