En Irak, l'aggravation de la crise politique et institutionnelle inquiète
Entretien réalisé par Claire Riobé – Cité du Vatican
Sait-on qui est l'auteur de la tentative d’assassinat contre le Premier ministre Mustafa al-Kazimi?
Les rumeurs vont bon train à Bagdad, accusant les milices chiites pro-iraniennes d’être responsables de cette tentative d’assassinat. C’est tout à fait probable dans la mesure où les listes électorales ayant suivi ces milices ont subi un échec cuisant lors des dernières élections. Elles veulent ainsi se rappeler au bon souvenir du Premier ministre, et notamment lui rappeler que la victoire contre Daech leur est redevable, avec un prix à payer dans les postes à distribuer au sein du futur gouvernement irakien.
Quelles conséquences cette tentative d’assassinat a-t-elle sur la scène politique irakienne?
Cette tentative prouve que l’Irak s’enfonce chaque jour un peu plus dans une crise institutionnelle, dont elle ne pourra pas sortir par le biais de simples élections. Nous avons aujourd’hui très clairement une division de la communauté chiite irakienne entre pro-milices chiites favorables ò l’Iran et une société civile chiite qui rend l’influence iranienne responsable de l’incurie dans laquelle l’État iranien fait vivre une majorité de la population.
Nous avons donc ce danger supplémentaire d’un affrontement intra-chiite. Ce dernier s’ajoute aux affrontements avec les Kurdes et les Arabes sunnites. L’Irak n’a jamais été aussi divisée qu’aujourd’hui.
Comment se positionne le chef du parti chiite Moqtada al-Sadr?
Nous sommes dans une situation où il n’y a plus de profession de foi politique, uniquement des intérets à court terme à défendre, ce qu’illustre bien la position de Moqtada al-Sadr.
Après avoir appelé au boycott des élections, il y a malgré tout participé et quand sa liste est arrivée première en octobre dernier, il s’est gargarisé de cette victoire comme si elles étaient devenues légitimes et légitimaient sa majorité. Nous sommes face à un opportunisme auquel Moqtada al-Sadr nous a déjà habitué. Cela montre que la classe politique irakienne, qu’elle soit religieuse ou non, est entièrement impliquée dans un système qui va à sa perte, avec cet affrontement prévisible au sein de la communauté majoritaire en Irak.
Face à la dégradation de la situation sécuritaire et politique, y a-t-il un risque de guerre civile ou de coup d’État dans le pays?
Pas de guerre civile car je pense que les Irakiens sont trop divisés, y compris au sein d’une même communauté, pour s’engager au sein d’une guerre civile. Je crois plutôt à une aggravation de la crise, la résurgence du mouvement de protestation avec une violence accrue, mais qui ne trouvera sa solution ni dans un coup d’Etat, ni dans des élections, qui s’avèrent un faux-semblant.
Le Premier ministre Mustafa al-Kazimi a tenté ces derniers mois de reconstruire le dialogue avec les États-Unis, tout en restant ouvert sur l’Iran. Ce jeu d’équilibriste est-il viable aujourd’hui?
La population irakienne est prise en étau entre les deux parrains du système politique qui fait aujourd’hui, à savoir les Etats-Unis et l’Iran. Depuis 2011 avec la volonté affichée des Américains de se désengager du bourbier irakien, l’Iran a pris le dessus. Mais les Iraniens constatent aujourd’hui à leurs dépens que le système politique, dont ils tentent de prendre le contrôle, est un système qui n’est pas viable, qu’il s’agisse de la question de la représentativité des différentes communautés kurdes, sunnites et au sein de la communauté chiite. Il y a donc de grands risques dans l’aggravation des violences, et tout ceci ne peut être que favorable à une résurgence de l’État islamique, dont on a pu voir les effets par différents attentats ces derniers temps.
Quelles solutions seraient à envisager dans cette crise irakienne?
Certainement pas de nouvelles élections, dont on voit qu’elles ne font que légitimer un système non viable. Il faudrait que la communauté internationale intervienne et s’engage dans une remise en cause des institutions, à travers un référendum qui définirait notamment l’avenir du Kurdistan, dont on sait qu'il est question depuis le dernier référendum de 2017. Ce dernier avait manifesté la volonté des Kurdes d’une indépendance par rapport à l’Irak.
Il n’y a que la communauté internationale et notamment les missions de l’ONU qui seraient à mène de pouvoir gérer une telle crise, mais il n’y a que peu d’espoirs que cela puisse se faire, dans la mesure où les parrains du système -les Iraniens ou les Américains- ne sont pas prêts aujourd’hui à laisser leur place dans la gestion d’un système, même si celui-ci est en pleine faillite.
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