Le président Kais Saied le 25 juillet 2021 annonçant la suspension du Parlement Le président Kais Saied le 25 juillet 2021 annonçant la suspension du Parlement 

La Tunisie, entre réformes et pesanteur

Où va la Tunisie ? Le président Kais Saied s’est arrogé tous les pouvoirs le 25 juillet mais peine pour le moment à convaincre de ses véritables intentions, entre volonté de réforme profonde du pays selon lui et instauration d’un nouveau régime autoritaire selon ses détracteurs. Les manifestations à caractère social se poursuivent et parfois dégénèrent, sans que les problèmes de fond ne soient affrontés ou résolus.

Entretien réalisé par Xavier Sartre – Cité du Vatican

La réouverture d’une décharge près de Sfax, dans le centre de la Tunisie a provoqué une vague de colère parmi la population locale. Les heurts avec les forces de l’ordre ont causé la mort d’une personne. Les affrontements ont duré plusieurs jours. Ces violences dans la ville d’Agareb ne sont que l’expression d’un malaise persistant au sein de la société tunisienne depuis des années qui trouve sa source dans une «tension entre la mise en place d’institutions démocratiques et le non-règlement d’une dimension sociale de la démocratie qui est la question de l’emploi, des inégalités, et de la fracture régionale» estime Vincent Geisser, chercheur à l’Institut de recherche et d’étude sur les mondes arabes et musulmans (IREMAM) à Aix-en-Provence.

Si des changements sont intervenus depuis 2011 et la chute du régime de Ben Ali, de nombreux Tunisiens considèrent que leur «conquête de la dignité» n’a pas été achevée, poursuit le chercheur. Les manifestations persistent donc malgré l’élection en octobre 2019 à la présidence de Kais Saied, qui se montre pourtant proche de tous ces mécontents. Isolé, sans véritable base parlementaire, le chef de l’État a décidé de prendre radicalement les choses en main en suspendant le Parlement le 25 juillet dernier. Une décision vécue comme un coup de force par la majorité des partis politiques qui se retrouvent privés de toute capacité d’action politique. Un nouveau gouvernement, dirigé par Najla Bouden, a fini par être mis en place en octobre mais les véritables intentions du président ne sont pas claires.

 

Une chose est sûre : il ne veut pas revenir en arrière, affirme Vincent Geisser. «Il veut changer en profondeur les institutions et la constitution du pays» et mettre fin à la Deuxième République mise en place après 2011. Kais Saied a laissé entendre publiquement qu’il voulait «une démocratie directe, avec des assemblées locales, qui éliraient des assemblées régionales, qui enverraient des représentants nationaux. Ce qui veut proximité locale, favoriser les représentants locaux, et en même temps – ce qui est contradictoire dans ce projet – un exécutif uni et fort», rappelle le chercheur de l’IREMAM. Or, ce que l’on voit pour le moment, c’est plutôt le second volet de son projet, un exécutif fort.

Large soutien populaire

Largement élu en 2019 au second tour, Kais Saied n’a pas su calmer la colère d’une partie de la population. Pourtant, il bénéficie encore d’un large soutien de ceux qui avaient voté pour lui et profite même depuis le 25 juillet du ralliement «au nom de l’ordre, de la restauration de l’État et de la sécurité» de gens qui n’avaient pas voté pour lui ce qui «est très surprenant», selon Vincent Geisser. Si certains sont depuis déçus, d’autres voudraient que le président aille plus loin dans sa «politique de nettoyage : arrestation des corrompus, fermeture des partis politiques qui sont jugés trop mêlés aux affaires etc.» «Il reste donc très populaire malgré une politique autoritaire de verrouillage de la société», ajoute le spécialiste de la Tunisie.

La faiblesse des partis politiques ne l’incite pas à nouer un dialogue avec ce qui représente maintenant l’opposition. Seules les pressions extérieures, comme celles venant de l’Europe, pourraient l’amener à reprendre langue avec la classe politique mais sa volonté de tourner la page est pour l’instant trop forte.

Sans appui politique traditionnel, Kais Saied peut toutefois compter pour le moment sur le soutien de l’administration, qui demeure la colonne vertébrale de l’État malgré les changements de régime, sur celui de la police et de l’armée et sur une partie des syndicats ouvriers. Reste à savoir si la question sociale lui permettra d’aller au bout de sa politique de refondation de la Tunisie.

Entretien avec Vincent Geisser de l'IREMAM

 

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22 novembre 2021, 08:45