Scène de vie à Beyrouth, le 12 mai 2022. Scène de vie à Beyrouth, le 12 mai 2022. 

Des élections pour un statu quo au Liban

Le 15 mai se tiennent les premières élections législatives depuis la grave crise économique de 2019. L’opposition naissante espère une percée, mais la classe politique traditionnelle devrait conserver le pouvoir. Entretien avec Ziad Majed, professeur à l’Université américaine de Paris.

Entretien réalisé par Marie Duhamel – Cité du Vatican

La semaine dernière, entre le 6 et le 8 mai, 60% des 225 000 Libanais inscrits sur les listes électorales à l’étranger, dans 48 pays du monde, se sont rendus aux urnes, un chiffre en augmentation par rapport à 2018, premier scrutin auquel ils étaient invités à participer. Ce dimanche 15 mai, après les Libanais de la diaspora, les électeurs résidant au Liban sont appelés à participer aux législatives pour renouveler les 128 députés du Parlement. Il s’agit des premières élections après le soulèvement populaire massif, déclenché en 2019 pour exiger le départ d’une classe politique accusée de corruption et d’incompétence.

Une catastrophe en cours

Ces trois dernières années, la situation socio-économique du pays s’est effondrée. Le politologue Ziad Majed, professeur à l'Université américaine de Paris, propose deux exemples pour illustrer l’ampleur de la crise. En 2019, un dollar américain valait 1500 livres libanaises, contre 30 000 aujourd’hui. Non seulement, le pouvoir d’achat a été détruit, mais les Libanais sont aussi privés de leur épargne par les banques. «Chaque personne est touchée par cette crise, la classe moyenne, les défavorisés et même une partie des personnes qui avaient des économies et pouvaient vivre dignement», affirme Ziad Majed. Chaque semaine, les Libanais doivent négocier avec leur banque pour retirer de l’argent afin d’acheter de quoi vivre au quotidien. Selon le chercheur, plus de 60% de la population vit désormais sous le seuil de pauvreté ; et plus de 80% de la population selon les Nations unies.

Le marché de l’emploi est également sinistré. Dans un communiqué publié le 12 mai, l'Administration centrale des statistiques au Liban (CAS) et l'Organisation internationale du travail (OIT) indique que le taux de chômage au Liban est passé de 11,4% en 2019 à 29,6% en janvier 2022.

Un peuple en souffrance

Du fait de cette crise économique sans précédent, les trois quarts des 18-29 ans rêveraient de quitter le pays, indique une récente étude. Et les départs se multiplient, y compris dans des circonstances extrêmement dangereuses. Selon l’agence de l’ONU pour les réfugiés, au moins 1 570 personnes, dont 186 Libanais, ont quitté ou tenté de quitter illégalement le Liban par la mer entre janvier et novembre 2021, la plupart espérant rejoindre l’île de Chypre, membre de l’Union européenne et située à quelque 175 kilomètres. Un chiffre en hausse par rapport aux 270 passagers, dont 40 Libanais, en 2019.

«Les gens souffrent et l’explosion du port de Beyrouth (ndlr qui a fait 215 morts le 4 août 2020) n’a fait qu’empirer les choses», explique le chercheur, inquiet en outre des conséquences de l’invasion russe en Ukraine. Le Liban importe 81% de son blé du pays en guerre.

«Cette situation n’est pas due à une catastrophe naturelle ou à une mauvaise gestion ou à une surprise, non, affirme Ziad Majed, c’est le résultat d’une accumulation de politiques, de clientélisme, le produit d’un système corrompu, et d’un système qui gère très mal les ressources, vue la médiocrité de la classe politique, son arrogance, son impunité et tous les calculs confessionnels qui s’imposent au niveau des services publics, des décisions en général, au niveau des administrations».

Des candidats issus de la contestation

Pourtant, le temps où ils était des dizaines de milliers de toutes les communautés religieuses dans la rue pour manifester leur colère semble bien lointain. Pour Ziad Majed, l’élan citoyen a été cassé par «une contre-révolution menée par le Hezbollah», par la pandémie de Covid, par l’effondrement économique et enfin l’explosion du 4 août.

Sans évoquer de pots-de-vin distribués par les candidats des partis traditionnels liés aux communautés confessionnelles, le Franco-Libanais, professeur à l'Université américaine de Paris, prédit un statu quo. Des candidats issus de la contestation se présentent. Ils ont tenté de «créer une dynamique politique» pour «tenter de percer», et dans certaines circonscriptions «il y a des batailles importantes» -ce qui constitue un espoir pour l'avenir, estime-t-il- mais cela va être «très difficile».

Une quête de légitimité

En raison «du confessionnalisme et de ses règles du jeu, du Hezbollah et de sa puissance de frappe politique et militaire», mais aussi de la loi électorale et d’un découpage des circonscriptions favorables, du fait que les moins de 21 ans ne puissent pas voterl, d’un certain désespoir et des gens qui considèrent que le rapport de force ne peut être changé, Ziad Majed prédit qu’il n’y aura pas de renouvellement de la classe politique. Actuellement au pouvoir, elle s’y maintiendra. L’enjeu de ce scrutin est ainsi pour cette classe dirigeante de gagner en légitimité, notamment vis-à-vis de la communauté internationale.

Le 7 avril dernier, le Fonds monétaire international annonce être parvenu à un accord de principe avec les autorités libanaises pour un plan d'aide de trois milliards de dollars sur quatre ans, «mais les négociations avec la Banque mondiale et le FMI ne progressent pas suffisamment. Les deux instances imposent des réformes avant de débloquer des fonds ». En février, le FMI préconisait des réformes pour garantir la viabilité de la dette, reconstruire le secteur financier, réformer des entreprises publiques et lutter contre la corruption. Cet argent ne servirait pas à «sortir de la crise mais à dépenser de nouveau dans des secteurs sociaux qui sont pour les gens d’une nécessité vitale».

Entretien avec Ziad Majed, professeur à l'Université américaine de Paris.

 

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12 mai 2022, 18:36