Réforme du Corps diplomatique français, la crainte d’une moindre influence
Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican
À partir de 2023, les carrières dites «à vie» de diplomates seront découragées, afin d’introduire plus de «souplesse» professionnelle et de «diversité» dans le recrutement, selon le gouvernement français. Les futurs diplomates seront désormais choisis au sein d’un vaste vivier de hauts fonctionnaires, provenant d’autres ministères comme la Santé ou l’Économie. Certains redoutent une dilution des compétences et de l’expertise de ce Corps, dont les prémices remontent à 1547, sous le règne d’Henri II. Une mission d'information a été créé par la commission des affaires étrangères du Sénat français.
Quel est selon vous le sens de cette réforme?
La suppression du Corps diplomatique a été actée à Pâques par un décret du 17 avril. Elle remet en cause la filière d’entrée par concours, soit par l’École nationale d'administration (l’ENA), soit par des concours spécifiques, le concours d'Orient. L’on progressait alors dans une carrière propre au ministère des Affaires étrangères, selon les grades.
Le jeune candidat aux concours pour les Affaires étrangères le passait dans une perspective de parvenir un jour à devenir ambassadeur. Les cartes sont rebattues puisque l'ENA n'existe plus. Le concours d'Orient, où il importe de parler des langues rares et d'avoir des spécialités sur des zones géographiques spécifiques, est lui maintenu.
Mais le corps des conseillers des Affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires, à savoir le sommet de la hiérarchie, devient en tout état de cause un corps en voie d'extinction. Tout ceci sera, à partir de 2023, intégré dans les administrateurs d'État, même si les diplomates ont la possibilité de rester dans ce corps en voie d'extinction.
Quels atouts du réseau diplomatique français risquent d'être altérés?
Le système à venir est un système où la spécificité de la carrière diplomatique risque la dilution pour plusieurs raisons: il sera possible de nommer aux postes de responsabilité, non seulement les ambassadeurs -qui, de toute façon, sont des postes à la discrétion du président de la République, ce n'est pas une nouveauté-, mais aussi des fonctionnaires issus d'autres ministères.
Les agents du ministère des Affaires étrangères devront aussi au minimum effectuer deux postes hors du Quai, dans une autre administration, lors de leur carrière.
Cette réforme ne vise donc pas à introduire plus de diversité dans la nomination des ambassadeurs, puisque cette disposition existait déjà; elle a d'ailleurs toujours été appliquée avec parcimonie. Par exemple à Rome, l’ambassadeur Gilles Martinet n'était pas un diplomate, mais un journaliste et un homme politique.
Ce qui suscite aujourd’hui des interrogations est: d’une part, l'attractivité, les concours pour intégrer la carrière diplomatique sont des concours difficiles. Le jeune qui arrive et qui n'a plus la perspective de pouvoir faire toute sa carrière au sein du ministère des Affaires étrangères, en tire une moindre attractivité. D’autre part existe le risque de dilution des compétences. Je peux en témoigner: la diplomatie est un métier. On l’apprend et beaucoup sur le terrain. Il est évident que si des ambassadeurs ou des consuls généraux le sont de passage, l’expertise est perdue.
Il y a aussi le risque de favoritisme -et il existe-, c'est à dire de placer des gens parce qu'ils ont très bien réussi au cabinet d'un autre ministère ou parce que l’on veut renvoyer l'ascenseur à un moment ou un autre. De plus, je prends le pari qu'il y aura beaucoup de candidats pour aller à la Villa Bonaparte à Rome Saint-Siège, il y en aura sûrement beaucoup moins pour aller à l'Ambassade de France en Haïti.
Que dire de l'argument d'un ministère prétendument clos et de son manque de diversité?
Il se dit souvent que le ministère des Affaires étrangères est un corps fermé, d’entre-soi. C’est une contre-vérité. Le ministère des Affaires étrangères est un ministère très ouvert. Il compte plus de 50% de contractuels dans ses effectifs. Je préfère d'ailleurs le mot de filière au mot de corps. Parce que oui, oui, il y a «un esprit Ministère des Affaires étrangères», c'est à dire quelque chose qui ressemble à une grande famille. Nous nous connaissons, nous savons qui appeler lorsque l’on est en fonctions et que nous avons un problème. Il y a des réflexes car nous connaissons les codes de cette administration, nous sommes un petit ministère, nous nous connaissons. Et ceci risque d'être dilué.
Que dit cette réforme de la place désormais accordée à la diplomatie?
La situation actuelle montre combien la diplomatie tient plus du sport de combat que de la tasse de thé. Le diplomate, l'ambassadeur, comme le consul général, a un rôle de représentation. Généraliste, son champ d'intervention est large. Ceci ne s'improvise pas. La diplomatie est une mission régalienne, comme celle de la préfectorale.
Inscrite dans une longue tradition, elle fait partie des piliers de l'État français. Il faut être prudent lorsque l’on en déplace les lignes. D’autant plus que le ministère des Affaires étrangères est un ministère qui perd ses crédits, perd ses emplois, et voit sa marge de manœuvre réduite, compte tenu des restrictions de budgets et d’effectifs.
Faire évoluer la diplomatie est une mission délicate. Diriez-vous que cette réforme marque un point de rupture majeur dans l’histoire diplomatique française?
Je pense surtout que l'on se trompe de cible. Évidemment, chacun est d’accord pour introduire plus de diversité dans la haute fonction publique. Je peux en témoigner, moi provinciale boursière, sans réseau, j’ai intégré l’École nationale d’administration.
Je n'étais pas parisienne, j'ai pu l'intégrer. La question de la diversité se pose plutôt sur l'ensemble du monde éducatif. Il faut d’abord regarder du côté de l’école.
Le deuxième point, j'insiste beaucoup là-dessus de tout ça, est l’importance de l’expérience. Devenue ambassadeur après 25 ans de carrière, j’ai monté tous les échelons. Nous faisons des métiers différents au sein du ministère. J'ai appris la coopération, j'ai appris la gestion, à me mouvoir dans des terrains de guerre civile.
Quand un ministre vous appelle un dimanche matin, qu’il a besoin d'un visa, que votre service est fermé, que l’agent est en vacances et que vous êtes dans une petite structure, il faut savoir gérer. Et puis cette capacité de pouvoir s'appuyer, lors de coups durs ou des sujets qu'on ne maîtrise pas, sur la collectivité des collègues.
Cette décision intervient aussi à un moment de crise pour l'environnement diplomatique mondial…
Aujourd'hui, rares sont les endroits où la diplomatie se pratique de façon décontractée, dans la sérénité. Le très bon exemple est l'Europe, considérée jusqu’alors comme proposant des postes proches de Paris, faciles pour une vie familiale. Aujourd'hui, l'Europe appelle une diplomatie hautement, non seulement, réactive, mais aussi, proactive, inventive. Je ne crois pas qu'il y ait aujourd'hui d'endroit où l’on puisse dire que l'on prend un poste diplomatique pour jouir d'une vie à l'étranger agréable. Les enjeux, les défis, les risques, sont présents partout.
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