Après la conférence de Lisbonne, «nous n'aurons pas d'océans de rechange»
Entretien réalisé par Claire Riobé - Cité du Vatican
Après New York en 2017, voilà que l'océan est pour la seconde fois le centre d’un événement onusien, au Portugal cette fois. Ces étendues d'eau, qui recouvrent 71% de la surface de la Terre et fournissent de la nourriture et des moyens de subsistance à des milliards de personnes, demeurent étonnament méconnues du grand-public. Mers et océans sont pourtant gravement menacés par une ruée incontrollée vers leurs ressources, particulièrement prolifiques.
Parmi les principales thématiques de cette conférence de Lisbonne ont été évoqués la pollution marine croissante, la destruction des écosystèmes, le réchauffement et l’acidification des eaux, ou encore l’exploitation minière de terres «rares», situées dans les fonds marins. Christian Buchet est le directeur du Centre d'études de la mer de l'Institut catholique de Paris. L'auteur de Osons la mer, publié en mars 2022 aux éditions du Cherche midi, nous livre son analyse sur les conclusions de ce sommet.
Vous écrivez dans votre dernier ouvrage que la mer et les océans sont un moteur pour l’humanité, une formidable source d’opportunités. Une meilleure prise en considération de cette ressource peut-elle donner du sens à l’avenir que nous bâtissons?
Absolument. Je me souviens il y a encore une quinzaine d’années, on connaissait 15 à 20% de la faune et de la flore sous-marine. Cela veut dire que plus nous avançons [dans le temps], plus nous nous rendons compte que c’est un univers que l'on méconnait totalement. Il faut voir ce qu’il se passe actuellement à Lisbonne : c’est très bien que l’Onu prenne ces initiatives, parce que détruire un univers qu’on ne connait pas et dont nous sommes issus, c’est un scandale écologique.
Mais c'est également un non-sens économique. Aujourd’hui, sans la mer, on ne "passe pas". La mer contient tout ce dont nous avons besoin, au-delà même de ce que nous pouvons imaginer. En disant cela, je ne dis pas qu’il faille l’exploiter, la piller, s’en servir. Je pense seulement que la mer nous ouvre à un autre comportement, à une autre vision du monde, de notre avenir et peut-être nous ouvre à un autre rapport à la nature aussi.
Un certain nombre de grands laboratoires tombent des nues quand je leur parle du potentiel que l’on peut tirer de la mer. Mais c'est déjà une réalité: le tout premier traitement de lutte contre le sida, l’AZT, est tiré du hareng. On travaille aujourd’hui sur 66 champignons marins pour la lutte contre le cancer. C’est extraordinaire, il y a un réel enjeu à mieux connaître le fond des mers.
La communauté internationale a-t-elle, selon vous, vraiment pris la pleine mesure des dangers qui pèsent aujourd’hui sur les océans?
Oui dans les déclarations, non dans la réalité. Vous savez, c’est nouveau, le rapport à la mer. Il y a eu un pari il y a quelques années avec la COP21 qui a été un tournant, mais disons pas un tournant si fort que cela, car les Océans y ont été complètement zappés. Aujourd’hui on tente de se rattraper, il y a notamment eu le One Ocean Submit [Sommet de Brest pour l’Océan, en février 2022, ndlt], et il y a aujourd’hui ce sommet de Lisbonne… . Il y a une prise de conscience, des enjeux et des objectifs [mis sur la table], et cela très bien. Mais il s’agit de les tenir, et d’être réaliste vis-à-vis de ces objectifs. On parle beaucoup par exemple de créer des aires marines protégées. Mais faire du chiffre ne sert à rien si l’on ne surveille pas ces aires marines. Il y a beaucoup à faire, et tout cela n’est pas encore suffisant car on ne mesure pas encore ce que l’océan pourrait nous apporter.
Parmi les dangers les plus graves se trouve l’acidification des océans…
De fait, il est vraiment important de souligner que c'est la menace majeure qui pèse sur les activités humaines concernant les océans. C’est plus important encore que [la question de la pollution liée] au plastique, qui n’est pas négligeable, loin s’en faut. Alors qu’est-ce que l’acidification de l’océan? C’est que les océans nous rendent un service formidable : ils frabriquent 50% de l’oxygène que nous respirons, mais surtout ils absorbent quelques 30% de nos émissions de CO2. Sauf que depuis le temps que les océans nous rendent ce service, ils s’acidifient, ce qui pose tout un tas de problèmes pour les espèces. Prenons les coraux pax exemple : on sait qu’ils blanchissent et disparaissent, ce qui me fait dire que ce qui pose problème n’est pas simplement ce que nous mettons dans l’océan ou ce que nous y oublions. Où que nous soyons, même au plus profond de l’intérieur des terres, 30% de nos émissions de CO2 aboutissent [dans l’océan], et provoque une rupture d’équilibre pour l’Homme à moyen-terme.
Une question très discutée à Lisbonne a été la lutte contre l’exploitation minière des fonds marins. Quels sont les risques en jeu?
C’est un problème qui est complexe. Je pense surtout aux terres rares, dont nous avons besoin pour les pales des éoliennes, pour un certain nombre d’éléments industriels mais plus que ça, dans tous nos appareils informatiques, électroniques, etc. La France a potentiellement, dans une zone précise, 18% de terres rares, si l’on va les chercher. Et on a la technologie pour le faire. Faut-il y aller, ou pas? Je pense qu’il faut faire jouer le principe de précaution. Pourquoi y a-t-il [avec l’exploitation minière] plus de problèmes dans l’eau? Parce qu’on va bouger les fonds marins, et - l’eau de mer étant 800 fois plus dense que l’air –il y a une retombée beaucoup plus longue et disséminée de la terre, de la boue et de la vase.
Donc il est vrai qu’il faut [aborder cette question] avec beaucoup de prudence. Il faut peut-être jouer sur un moratoire. Et voir comment nous pourrions faire, si nous devions exploiter malgré tout les fonds marins, compte-tenu de la pression démographique en jeu. Car il faut bien comprendre qu’il y aura trois milliards de terriens en plus d’ici à 2050, soit trois fois la population mondiale de la période de 1804. Donc il faut réfléchir aujourd’hui à d’autres solutions, ou à des solutions qui ne soient pas aussi risquées que celles que nous avons actuellement.
Que retenez-vous des conclusions de la conférence de Lisbonne?
Entre ce qui est dit et ce qui va se faire, j’attends de voir la réalité et le temps que cela va mettre à se réaliser. Disons que cette "grand messe" a son utilité, parce qu’elle montre aux yeux de tous à quel point on est en train de prendre conscience que la mer n’est pas une source d’ennuie, à travers les marées noires ou d'autres problèmes. On peut être optimiste, confiant, parce que la mer contient tout ce dont nous avons besoin. Mais elle nous invite à un autre rapport avec la nature. Autrement cela ne fonctionnera pas. Il ne s’agit pas de faire en mer ce que nous avons fait à terre. Nous n'aurons pas d’océan de rechange.
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