Sierra-Leone: l'appel au dialogue de l'administrateur apostolique de Makeni
Benedict Mayaki, SJ - Cité du Vatican
Après les manifestations de ces derniers jours, qui ont fait 24 morts parmi les policiers et les civils, le calme est revenu en Sierra Leone, l'un des États les plus pauvres du continent africain. La population a manifesté son mécontentement face au coût élevé des denrées alimentaires et du carburant à la pompe. L'initiative est venue d'un groupe de femmes commerçantes, qui ont appelé à une manifestation pacifique, après plusieurs appels lancés sur les réseaux sociaux. Face aux actes de violences, l'Organisation des Nations unies a exprimé sa préoccupation. L'ancienne colonie britannique, avec ses 7,5 millions d'habitants, vit dans une situation difficile, marquée par la guerre civile qui l'a déchirée de 1991 à 2002, l'épidémie d'Ebola qui a explosé en 2014, la pandémie de Covid-19 et les conséquences de la guerre en Ukraine sur les matières premières.
Invité de Radio Vatican - Vatican News, l'évêque xavérien Natale Paganelli, administrateur apostolique de Makeni, de passage à Rome, est revenu sur la situation actuelle que traverse le pays et du rôle que peut jouer l’Église dans ces moments de crises.
Ces derniers jours, les Sierra-Léonais ont pris d'assaut les rues pour manifester contre le gouvernement. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette situation ?
C'est une situation malheureuse, très triste pour le pays, car beaucoup d'entre vous savent qu'il y a eu une guerre civile en Sierra Leone. Plus de dix ans de guerre civile qui se sont pratiquement terminés en 2002, après 20 ans. Nous sommes à nouveau en difficulté. Mais nous devons considérer que le pays, malheureusement, est divisé en deux : le Nord et la zone occidentale. Freetown est dominée par un parti, le Sud et l'Est par un autre parti. Le premier, l'APC, le second le SLPP. C'est l'origine du conflit en Sierra Leone, car il s'agit d'une lutte pour le pouvoir, pour le contrôle du pays. Et il n'y a aucun moyen d’y remédier jusqu'à présent.
J'espère que nous serons capables de briser ce mur, de dialoguer, de chercher le bien du pays, en utilisant la doctrine de l'Église, le bien commun, et de parvenir à un accord entre les deux parties. Bien sûr, la situation est devenue très difficile avec l'augmentation du coût de la vie, qui est plus élevé dans tous les pays, y compris en Italie, mon pays. Mais vous savez, dans un pays pauvre, lorsque le prix du riz, surtout du riz, augmente trop et que les parents ne peuvent pas se permettre d'acheter un sac de riz pour la famille, cela devient un problème. De plus, le chômage des jeunes est un autre gros problème. Mais jusqu'à présent, aucun gouvernement n'a été capable de résoudre ce problème parce que nous n'avons pas d'usines dans le pays. Mais je crois que le principal problème derrière tout cela est la confrontation politique entre ces deux partis. En fait, la manifestation n'a eu lieu qu'à Freetown et dans le Nord. Mais dans le Sud, si les gens ont souffert comme dans le Nord, pourquoi ne pas protester là-bas ? C’est à cause de la division, de la division politique du pays.
La répression a fait plusieurs morts en Sierra Leone. Selon vous, est-ce un moyen efficace de gérer la dissidence ou d'exprimer le mécontentement de la population?
Récemment le gouvernement a décidé d'interdire pratiquement toute manifestation. Et nous voyons aussi qu'un représentant des Nations unies dans le pays, a dit que le gouvernement ne pouvait pas interdire les manifestations. Bien sûr, pas les manifestations violentes, mais les gens ont le droit de dire, d'exprimer leur inquiétude. Pour cela, il y a, à mon avis, des erreurs des deux côtés. Parfois, la police utilise trop de force et les gens sont trop agressifs. Pas avec des armes à feu parce qu'ils n'en ont pas, avec des pierres, avec autres objets parfois.
Mais pour moi, nous devons trouver quelqu'un qui est capable d'appeler les parties prenantes du pays à s'asseoir et à trouver une solution à ce terrible problème. Parce que vous pouvez changer un gouvernement, un autre gouvernement, et la situation va demeurer, si nous ne sommes pas capables d'entamer un dialogue très profond, sincère et honnête entre le Nord, l'Ouest, le Sud et l'Est.
Vous êtes l'administrateur apostolique de Makeni en Sierra Leone. Quel rôle l'Église peut-elle jouer dans cette situation?
Je parle en ce moment en tant que président de la Conférence épiscopale de Sierra Leone, j'espère que nous serons capables d'être unis entre nous. Nous, prêtres, évêques, devons être les premiers à nous battre pour l'union du pays. Parce que pour nous, le baptême, notre foi en Jésus-Christ est plus important que notre appartenance à une ethnie ou à une région. Nous devons approfondir cette réflexion, penser à nos erreurs. Je n'accuse personne. Les deux parties font des erreurs, mais nous devons trouver un moyen en tant qu'Église de prouver ce qui est possible, de travailler ensemble, de s'aimer, de se soutenir mutuellement malgré notre groupe ethnique, notre région.
Deuxièmement, puisque le président est catholique et que de nombreux membres du gouvernement le sont aussi, il faudrait au moins appeler les catholiques du gouvernement, les catholiques de l'opposition, leur parler en tant que pasteurs, les inviter à une réunion pour discuter, car nous ne pouvons pas séparer la religion de notre action. Nous sommes catholiques partout. Si je suis au pouvoir, je suis un catholique, un président catholique. Je suis dans l'opposition. Je suis un catholique dans l'opposition. Mais nous devons mettre en œuvre pour mettre en pratique nos valeurs chrétiennes.
Nous sommes un petit groupe. Nous sommes 5%. L'Église catholique n'est pas un grand groupe, mais nous avons une bonne réputation. Nous pouvons dire quelque chose au pays, aider le pays à aller vers un avenir, un avenir meilleur. Mais si nous sommes divisés dans l'Église, quel genre de message envoyons-nous au peuple de Sierra Leone ?
Alors à ce stade, quel est votre message à la Sierra Leone ?
Pour moi, le message est de mettre en avant le bien du pays, le bien commun en général. Pour tout le monde, pas pour le Nord ou le Sud, pas pour l'Est ou l'Ouest. Nous devons nous battre pour le bien de la Sierra Leone, qui est un pays riche, nous avons beaucoup de minéraux, nous avons beaucoup d'agriculture, nous avons le bois presque fini. Malheureusement, le bois a disparu. Nous avons du poisson, beaucoup de choses.
Comment est-il possible que nous soyons un pays pauvre avec quelques personnes riches. Très riches. Ce n'est pas possible. C'est une injustice, une injustice structurelle. Pour cela, nous devons travailler ensemble pour le bien du pays car il y a assez de richesses pour tout le monde. Je crois en une bonne administration. Je ne parle pas de ce gouvernement actuel ou de la gouvernance passée. Je parle d'une manière générale, car les gouvernements doivent assurer une bonne vie pour tout le monde. Mais bien sûr, nous devons suivre une voie démocratique, respecter les droits de l'homme, respecter la vie de chacun. Parce que le rapport que j'ai, est de 19 morts, 12 civils et 7 policiers. Ce n'est pas acceptable ! Même si c'est un seul, c'est trop.
Nous devons vraiment travailler ensemble pour trouver un moyen de dialoguer entre les deux régions du pays avec les deux parties du pays, parce que c'est la seule façon de sortir de cette situation. Et plus tard, il nous faut trouver notre façon de mettre en œuvre un système réellement démocratique en Sierra Leone, parce que l'indépendance des trois pouvoirs et l'autonomie de ces pouvoirs n'est pas encore très claire, pas seulement en Sierra Leone, mais dans beaucoup de pays.
Pour cela, je crois que la démocratie fonctionne. Si les trois pouvoirs sont indépendants, vraiment autonomes, on peut dire qu'il y a une vraie démocratie, sinon ce n'est pas possible. Mon invitation est d'être calme. Avec la violence, on ne va pas loin. Dix ans de guerre civile n'ont apporté que la destruction, aucun bénéfice pour le pays, ne revenons pas en arrière. Regardons l'avenir avec espoir, parce que nous sommes des chrétiens, des hommes et des femmes d'espérance, et en même temps, mettons en œuvre dans notre vie une relation vraie, honnête et sincère entre nous tous, en commençant par l'Église. C'est mon humble message pour continuer avec la tolérance religieuse dont nous jouissons en Sierra Leone, car Dieu merci, il y a la tolérance religieuse. Nous n'avons pas de conflit religieux, sinon, ce sera une véritable tragédie pour le pays.
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