En RD Congo, le calvaire des populations des régions occupées par les rebelles
Christian Kombe, SJ – Cité du Vatican
L’abbé Juvénal Ndimubanzi est prêtre du diocèse de Goma, curé sortant de la paroisse Notre-Dame de Lourdes de Jomba et actuel curé de la paroisse Christ Roi de Matanda, dans la province du Nord-Kivu. Dans l’interview qu’il a accordé à Radio Vatican – Vatican news, il décrit la tragédie de la population du groupement de Jomba où, comme curé, il a vécu avec sa communauté la prise de contrôle de la région par les rebelles du M23, après de violents affrontements avec les forces gouvernementales. La situation humanitaire, aussi bien des populations sous contrôle des rebelles que des réfugiés et personnes déplacées, est désastreuse, s’alarme le prêtre.
Des premiers affrontements à la prise de Bunagana
«C'est depuis le 28 mars que le M23 a attaqué les différentes localités, notamment Chanzu, Nyarubara, Runyoni, Chengerero, Kinyamahura, etc. Et c'est depuis ce jour-là que les affrontements ont repris d'une manière systématique», rappelle l’abbé Ndimubanzi. L’intensification des combats entre l’armée régulière et les rebelles a obligé la majeure partie de la population de ces villages du groupement Jomba, dans le territoire de Rutshuru, à se déplacer pour se réfugier ailleurs. «C’était la débandade totale», se souvient l’ancien curé de Jomba. «Certains se sont dirigés en Ouganda, [le pays voisin ndlr], d'autres ont pris la direction de Rutshuru, chef-lieu du territoire de Rutshuru. Les autres se sont retrouvés dans les groupements voisins de Jomba, comme Busanza ou Bweza». En RDC, un groupement est une circonscription administrative traditionnelle qui est composée des villages.
La prise de Bunagana, cité frontalière avec l’Ouganda, par les rebelles du M23, le lundi 13 juin, aura compromis davantage l’espoir des populations réfugiées ou déplacées de voir l’autorité de l’Etat rétabli et de pouvoir retourner chez elles. Aux réfugiés déjà établis en Ouganda et aux déplacés à l’intérieur de la province du Nord-Kivu s’ajoutèrent près de 90% de la population de Bunagana, cité stratégique et commerciale importante, passée sous le contrôle des insurgés.
La vie à Bunagana et dans les localités occupées
Pour la population restée à Bunagana et dans les villages occupés, la vie n’est pas facile, confie l’abbé Ndimubonzi. «Ils n'ont pas accès aux soins. Toutes les écoles du milieu sont fermées, les structures d'intérêt public vandalisées et pillées, notamment la paroisse de Jomba et son presbytère, le couvent des sœurs. Les structures sanitaires, à savoir l'hôpital de Bugusa, le centre de santé, les maisons de la population ont été pillés et aujourd'hui, la population croupit dans la misère totale».
Les activités commerciales sont à l’arrêt, même si les rebelles ont instauré leur administration dans la cité presque vidée de ses habitants. La route de Bunagana à Rutshuru reste fermée, explique l’abbé Ndimubanzi.
La foi aide à tenir, malgré l’incertitude et l’insécurité
Comme une bonne partie de ses ouailles, l’ancien curé a dû fuir pour se réfugier ailleurs. L’église paroissiale Notre-Dame de Lourdes, son presbytère ainsi que le couvent des sœurs de Saint Vincent de Paul de Roeselare ont été saccagés de fond en comble. Jusqu’à présent, «les prêtres et les sœurs sont toujours dans les lieux de refuge». A Bunagana, succursale de la paroisse de Jomba, et dans les autres localités occupées par les rebelles, qui étaient desservies par les prêtres de Jomba, «quelques chrétiens se réunissent le dimanche pour le partage de la Parole de Dieu». La foi les aide à tenir dans ce climat général d’incertitude et d’insécurité.
Des réfugiés et déplacés dans l’urgence humanitaire
Du côté des populations réfugiées et déplacées, l’urgence humanitaire n’a cessé de s’aggraver. Si depuis novembre 2021, le Haut-Commissariat des réfugiés a compté 170.000 réfugiés et déplacés dans le pays, des dizaines des milliers d’entre eux ont été provoqués par le retour de la rébellion du M23 et l’occupation de Bunagana ainsi que des autres localités de Jomba. En Ouganda où beaucoup ont trouvé refuge, ou dans les villages voisins où plusieurs autres se sont déplacés, la situation est au bord de la catastrophe humanitaire.
«Ces derniers temps, les gens qui étaient en Ouganda ont été obligés de rentrer au pays. Certains ont regagné leurs milieux respectifs, préférant mourir sur leur sol et d'autres ont rejoint les autres à Rutshuru, dans les camps où ils se trouvent, notamment le camp de Rwasa. Les autres passent leurs nuits dans les écoles et les autres dans les stades», explique l’ancien curé de Jomba. Quant à l’assistance humanitaire, ajoute-t-il, elle est peu significative. Les quelques rares organisations qui procurent l’assistance aux réfugiés et aux déplacés ne parviennent pas à satisfaire leurs besoins, tant ils sont nombreux et l’aide limitée. Par ailleurs, «les enfants ne vont pas à l'école, les gens meurent dans les camps par manque de nourriture ou par manque des soins médicaux», constate amèrement le prêtre diocésain de Goma. Dépouillés de tout ce qu’ils avaient, manquant de nourriture et de bien de choses, certains déplacés quittent les camps pour aller cultiver clandestinement leurs champs dans les territoires occupés.
Une population livrée à elle-même
Chez beaucoup, à Bunagana, dans les villages du groupement Jomba ou dans les camps, règnent la tristesse et le sentiment d’être abandonné, souligne l’abbé Juvénal Ndimubanzi. Ces dernières semaines, plusieurs manifestations ont eu lieu, notamment à Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu, pour protester contre la dégradation de la situation sécuritaire. Si certains manifestants exigent le retrait de la Monusco (Mission des Nations Unions pour la stabilité en République Démocratique du Congo), jugée impuissante, d’autres pointent la responsabilité du gouvernement, car malgré l’état de siège, instauré depuis le 6 mai 2021 et renouvelé jusqu’à aujourd’hui, l’insécurité ne cesse de croître et l’intégrité du territoire national compromise.
Dans la foulée, alors que les Forces armées de la République démocratiques du Congo s’emploient à récupérer les territoires occupés, le gouvernement congolais continue d’accuser celui du Rwanda de complicité avec le mouvement rebelle, que Kinshasa considère désormais comme groupe terroriste; des accusations toujours démenties par Kigali.
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