Washington et Pékin font le choix du dialogue et de la désescalade
Marie Duhamel – Cité du Vatican
À cinq reprises, les présidents américain et chinois ont échangé par téléphone depuis l’élection de Joe Biden à la Maison Blanche, mais la politique chinoise de tolérance zéro face à la Covid-19 avait rendu toute rencontre physique impossible. Celle-ci a finalement eu lieu. Pendant trois heures, Joe Biden et Xi Jinping ont échangé, lundi, sur l’île indonésienne de Bali, à l’occasion du 17ème sommet du G20.
Leur rencontre s’est conclue par une photo où les deux hommes sourient, tout en échangeant une poignée de main. Une photo qui consacre Xi Jinping sur le plan diplomatique. «Cette poignée de main entre Joe Biden et Xi Jingping - dans cet ordre et en l’absence de Vladimir Poutine, a consacré pour Washington, pour le peuple américain et le monde entier, la reconnaissance par le président Biden d’un président Xi, je ne dirais pas à parité avec les États-Unis mais presque. Clairement, la guerre d’Ukraine a, pour ces deux leaders, rétrogradé la Russie un pas derrière», explique Annick Cizel, enseignante et chercheur à l’université Sorbonne nouvelle, spécialiste de la politique étrangère américaine. «Nous avons désormais deux grandes très grandes puissances, la troisième s’est auto-rétrogradée de par son échec en Ukraine».
Le choix de l'apaisement
À l’issue de leur tête à tête, le président américain a affirmé qu'une nouvelle Guerre froide «n'était pas nécessaire». Après avoir promis de soutenir Taïwan en cas d’intervention militaire chinoise sur l’île, le président américain avait réaffirmé que la position américaine n’avait pas évolué sur la question. Les manœuvres militaires chinoises dans le golfe de Taïwan en réaction à la visite de Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, sur l’île, avaient créé l’inquiétude. Celle-ci serait dissipée. «Je ne pense pas qu'il y a une tentative imminente de la part de la Chine d'envahir Taïwan» déclarait le dirigeant américain lundi.
Contrairement à son homologue américain, le dirigeant chinois n’a pas tenu de conférence de presse mais le communiqué de compte-rendu chinois adoptait un ton des plus positifs. Pékin n’a pas l'intention de «changer l'ordre international existant» y écrit le ministère chinois des Affaires étrangères. Le monde serait suffisamment grand pour que les deux pays puissent prospérer et se concurrencer. «Dans les circonstances actuelles, la Chine et les États-Unis partagent plus, et non moins, d'intérêts communs» affirme aussi la diplomatie chinoise.
Il semble que la guerre en Ukraine ait poussé les deux politiques à se montrer conciliants pour jouer la carte de l’apaisement.
La stabilité mondiale, une nécessité
«L’atmosphère générale des relations internationales aujourd’hui est inflammable sur un plan nucléaire», une question qui a dominé leur entretien bien qu’elle ne fut pas la seule abordée, estime Annick Cizel. «On sait que les États-Unis souhaitaient que la Chine rejoignent le dialogue qui existait avant la guerre d’Ukraine entre les États-Unis et la Russie sur la non-prolifération nucléaire» avec l’espoir, poursuit-elle, d’impliquer la Chine dans un second temps dans le dossier du nucléaire iranien. Mais aujourd’hui, après le 24 février et l’invasion de l’Ukraine, «c’est tout le cadrage de la non-prolifération nucléaire de la Guerre froide qui n’existe absolument plus. Et on a vu la Corée du nord –on sait le rôle de la Chine vis-à-vis de la Corée du nord- multiplier ses tirs de missiles et ses exercices balistiques. À partir de là, estime la chercheuse à la Sorbonne nouvelle, le message envoyé par Xi Jinping à la suite de Joe Biden c’est que ces deux grands ont la responsabilité de se comporter comme des chefs d’État de deux puissances raisonnables qui ont sur leurs épaules le sort de l’humanité».
La déclaration de la Maison Blanche à l’issue de l’entretien va dans ce sens. Elle a fait savoir que Joe Biden et Xi Jingping s'étaient mis d'accord «sur le fait qu'une guerre nucléaire ne devrait jamais être menée et ne peut jamais être gagnée», même si la mention du nucléaire ne figure pas dans le communiqué chinois. La Chine estime avoir encore un rattrapage à faire par rapport à l’arsenal nucléaire américain et russe, précise Annick Cizel.
La guerre en Ukraine a également mis en danger la sécurité mondiale. À quelques jours de l’expiration d’un accord passé fin juillet entre Kiev et Moscou sur la mise en place d’un corridor maritime ukrainien qui a permis d’exporter près de 11 millions de tonnes de céréales, le président chinois – sans avoir directement condamné l’agression de la Russie contre son voisin ukrainien, «a rappelé qu’une puissance raisonnable doit protéger la circulation des denrées alimentaires et en aucune manière remettre en question la libre navigation des mers et des océans en ce qui concerne la sécurité alimentaire des populations de la planète».
La discussion entre les deux chefs d’État auraient également permis de relancer des entretiens bilatéraux sur la protection de la planète.
La Chine reste un «rival systémique» pour Washington
Le dialogue de lundi est à saluer car il s’agit d'«une vraie forme de désescalade», estime Annick Cizel, mais «pour les États-Unis, la Chine reste un rival systémique à tendance révisionniste, précise-t-elle. À Washington, «on lui prête des velléités de réviser l’ordre mondial, non pas hors de la mondialisation, ni même en dehors des Nations unies et du multilatéralisme. On y accuse volontiers la Chine de récupérer le multilatéralisme et de faire de l’entrisme, c’est-à-dire de chercher à influencer les pays du Sud dans leur refus d’alignement de l’Occident».
Il faut également noter que la Chine est, sur la scène politique américaine, le seul sujet de politique internationale qui mettent républicains et démocrates d’accord. «Joe Biden qui s’est voulu le président de la réconciliation, a avec la Chine son meilleur atout pour une politique bipartite», précise l’enseignante.
Depuis son arrivée à la Maison Blanche, Joe Biden n’a pas mis fin aux mesures protectionnistes déjà prises par Barack Obama après 2008, ni à la guerre commerciale initiée par Donald Trump. Au contraire. Cet été, le président américain a promulgué le Chips and Science Act, entouré des principaux fabricants de semi-conducteurs qui espèrent bénéficier de cette loi. Adoptée fin juillet par le Congrès, elle prévoit le déblocage de 52,7 milliards de dollars (51,5 milliards d'euros) de subventions tant pour la relocalisation de la production que pour la recherche et développement (R&D). La Chine avait alors fustigé le retour à une mentalité de «Guerre froide».
Après la guerre commerciale, un affrontement financier
Entre ces deux modèles de capitalisme performant qui souhaitent tous les deux la place de première économie mondiale, l’affrontement restera-t-il canalisé par le rapport de force commercial ? Pour Annick Cizel, le cycle suivant sera financier. «La Chine observe de très très près la façon dont l’Occident a isolé la Russie financièrement, monétairement. En retirant à l’économie russe l’accès à Swift, il devient urgent de dédollariser la mondialisation des échanges autant que faire se peut. Or la Chine a des moyens que la Russie ne possède pas et l’offensive chinoise financière, monétaire et bancaire dans sa région et au-delà est à prendre en considération».
Donc si les dirigeants des deux pays ont manifesté leur entente cordiale ce lundi à Bali, exprimant l’extrême nécessité d’une stabilité mondiale -aucun des deux n’a intérêt à un effondrement de l’économie, dans le même temps on voit se dessiner une divergence «un découplage entre les économies chinoise et américaine, soulignent la professeur à Paris III. Un découplage technologique, d’accès aux matériaux pour les semi-conducteurs, aux terres rares, et aux ressources énergétiques».
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