En Haïti, le désir d’école aussi grand que la peur d’y envoyer ses enfants
Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican
Alors que des gangs armés concurrents contrôlent toujours plus de 60% de la capitale, Port-au-Prince, les écoles du pays qui étaient fermées depuis le mois de juillet commencent à rouvrir timidement en ce mois de décembre. Nombre de parents continuent d'avoir peur d’y envoyer leurs enfants, le risque d’enlèvements étant accru.
Sœur Martha Séïde est consulteur du dicastère pour la Culture et l’éducation et enseigne à la faculté pontificale des sciences de l'Éducation Auxilium de Rome. La religieuse haïtienne nous raconte ce qu’elle sait et voit du quotidien douloureux des élèves de l’île, pris en otage par la violence.
Quelle est actuellement la réalité scolaire en Haïti?
Depuis la fermeture des écoles cet été, les petits Haïtiens ne sont toujours pas retournés à l’école. Seulement maintenant, début décembre, de façon très timide et sporadique, quelques établissements font revenir les enfants à plusieurs conditions. Par exemple, sans port de l’uniforme, habituellement obligatoire en Haïti. La raison est sécuritaire, afin que les enfants ne se fassent pas remarquer des gangs armés.
L’insécurité est dramatique sur l'île. Nous l’avons vu en 2021, même un président de la République s’est fait assassiner dans sa chambre. Le pire concerne les enlèvements. Vous sortez dans la rue, vous ne savez pas quand va-t-on vous enlever, quel montant exorbitant on va vous réclamer. Même quand l’école veut rouvrir, les parents savent qu’ils y mettent leurs enfants en danger. Il n’y a plus non plus de carburant donc personne ne pouvait jusqu’à présent se déplacer; manquent aussi des générateurs. Les enfants ont envie d’aller à l’école mais ne le peuvent pas.
Comment l’Église haïtienne s’échine-t-elle à soutenir la population?
L’éducation fonctionne en Haïti grâce à l’Église. Beaucoup d’écoles sont gérées par des congrégations religieuses accueillant des enfants de tout âge et de tout milieu social. L’Église fait ce qu’elle peut, mais elle ne peut pas grand-chose. La situation est devenue insoutenable, car nous ne voyons aucune issue. Les responsables politiques discutent actuellement, mais nous savons qu’ils n’ont pas à cœur le bien commun donc nous ne croyons pas vraiment en eux.
Toutefois, au quotidien, les Haïtiens tentent de s’en sortir. Mes proches sur place me racontent les activités qu’ils font avec les enfants, ils se réunissent tantôt pour des activités sur le Pacte éducatif global, tantôt sur Laudato si’. Le peuple haïtien est très créatif, c'est l'une de ses grandes qualités.
Les bandits laissent un peu de trêve les samedi et dimanche. Tout le monde sort un peu ces jours-là, tente de se ravitailler. La majorité de la population vit au jour le jour, s’arrange et s’entraide. Les Haïtiens ont cette force de l’intérieur qui les fait vivre. Et puis l'on espère. L'on espère contre toute espérance. Nous ne pouvons pas penser que Dieu abandonne ce peuple.
Quelle aide attendriez-vous de la communauté internationale, mais aussi du Saint-Siège et du Saint-Père?
Le cas d’Haïti n’intéresse pas l’international. Personne ne sait, personne n’en parle. Notre île n’apparait pas dans les nouvelles. Je vis en Italie, c’est moi qui informe ma communauté. C’est un cas qui ne cause pas d’intérêt public, il n’y a donc pas d’attention internationale. Comme si Haïti n’existait pas. Or, faire connaître la situation sur place, c’est déjà un peu contribuer à la solidarité envers ce peuple souffrant.
Quant au Saint-Siège, je ne sais pas si à travers la nonciature apostolique il pourrait y avoir une médiation quelconque. Chaque semaine, un groupe naît pour dialoguer mais n’aboutit à rien. C’est très complexe car il n’y a pas de gouvernement depuis la mort du président. Le Premier ministre est contesté, nous ignorons ce qu’il fait. Une aide au peuple serait la chose la plus importante, au moins la proximité. Avec la proximité va naître la lucidité, puis, la solidarité.
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