Chanter pour se libérer de la maladie mentale
Marine Henriot - Rome
Le public est restreint, mais l’émotion présente devant la chorale des Pinsons du centre de jour Vergani (ASL Roma 2), qui accueille des personnes ayant des graves troubles mentaux, dans le sud de la capitale italienne. Si dans la galerie marchande du quartier, quelques notes peuvent paraître hésitantes, le désir de chanter est lui bien présent, cathartique et thérapeutique. «Même si nos vies sont chaotiques, de ce chaos naît un élan vital», explique Silvia, l'une des choristes, ses grands yeux bleus brillent après le concert. «Ici, nous voulons tous chanter pour nous exprimer, ce désir nous rend plus énergiques, plus vivants».
Pour ce concert de Noël, les Pinsons chantonnent devant un public averti: le centre Vergani est bien inséré dans le quartier, des évènements comme des concerts ou des ventes de créations de coutures sont organisés de concert et tout au long de l’année avec les artisans, associations et coopératives locales.
Se confronter à la vie réelle
Dès que les Pinsons peuvent chanter en public, ils saisissent l’occasion. «Avec ce concert, nous sommes à l’extérieur, nous nous confrontons à la vie réelle, hors des murs du centre, détaille la directrice de chorale, Marina Mango. Chanter est une expérience de sociabilisation nous seulement pour les membres de la chorale, mais aussi entre le groupe et le public. À chaque concert, nous tirons le meilleur des personnes». «C’est la joie, la liberté», renchérit Christian, guitare dans les mains.
«C’est beau de faire partie d’un groupe, c’est un moment de sociabilisation», témoigne de son côté Elena, qui réalisait là sa première expérience de chorale. C’est ici tout le défi de la structure d’accueil et de la philosophie italienne du soin des personnes souffrant des troubles mentaux: rendre cette expérience le moins médical et sanitaire possible. «Plus nous créons des conditions normales pour le patient, plus celui-ci est susceptible de se comporter normalement», témoigne Stefano Zengarini, l’un des responsables du centre Vergani. Ainsi, dans la galerie marchande, la chorale des Pinsons est présentée au public comme telle, sans particularité spécifique.
Une philosophie unique
Une cinquantaine de personnes souffrant de graves troubles psychiatriques sont régulièrement reçues au centre d’accueil de jour Vergani. Couture, cuisine, atelier coiffure pour les habitants du quartier, mais également entretien et réparation dans les maisons voisines… Les activités sont nombreuses, pour permettre aux résidents de passage de rester ancrés dans la société et dans le quotidien. À Vergani, pas d'internement, chaque personne va et vient librement, et se voit proposer un parcours thérapeutique qui est un juste équilibre entre des interventions dites pharmacologiques, psychologiques mais également des aides à l’insertion dans le monde du travail et des activités qui peuvent valoriser les activités de chacun. «Toutes les activités qui font du bien à tous dans la vie quotidienne, nous les proposons au centre, c’est là une vraie force thérapeutique, être considéré comme une personne lambda», ajoute Stefano Zengarini.
Le système de santé italien fait donc le pari de traiter le patient dans son environnement social en limitant au maximum les hospitalisations -celle-ci sera de 7 jours maximum en cas de crise aiguë. Une révolution lancée dans les années 1960 par le psychiatre italien Franco Basaglia, qui sera à l’origine de la Loi 180, votée en 1978 par le parlement italien. Ce texte encadre la fermeture des hôpitaux psychiatriques du pays, au profit de structures ouvertes, plus humaines, qui donnent au malade un nouveau statut social. L’Italie compte aujourd’hui neuf fois moins de lits en psychiatrie que la France, et 40 ans plus tard, la philosophie Basaglia reste unique au monde, saluée par l’OMS qui note une diminution de la prise de médicaments et une division par deux du nombre de suicide entre 1990 et 2011.
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