La Croatie, 20e pays de la zone euro
Entretien réalisé par Jean Charles Putzolu – Cité du Vatican
Avec la nouvelle année, les Croates ont dit adieu à leur monnaie, la Kuna, introduite en 1994, après l’effondrement de l’ancienne Yougoslavie. Le gouvernement du Premier ministre Andrej Plenkovic a qualifié cette double entrée dans la zone euro et dans l'espace Schengen de «consécration», rappelant qu’il y a 30 ans, le pays était en pleine guerre.
L'euro est l'expression monétaire d’un «destin commun» et fait partie du «rêve européen», affirmait pour sa part le président du Conseil européen, Charles Michel.
Des objectifs précis définis dès la première heure
Les Croates attentaient de rejoindre les 340 millions d’utilisateurs de la monnaie unique et les 400 millions de citoyens de l’espace Schengen, depuis l'adhésion de leur pays à l'Union européenne il y a dix ans, mais en réalité, la Croatie rêvait de faire part du projet européen dès son indépendance en 1991; l’Union européenne était perçue comme un gage de stabilité.
Le processus a été retardé par le démembrement -dans le sang- de l’ancienne Yougoslavie qui a mis à mal une économie qu’il a fallu reconstruire presque à marche forcée. Car, pour rejoindre la zone euro, il faut avant tout respecter plusieurs critères, notamment la maîtrise de l'inflation, de la dette publique et du déficit. Aujourd’hui la dette croate est de 78 % de son Produit Intérieur Brut, et le déficit est sous la barre des 3%.
Ni eurosceptique, ni europhile
Le 1ᵉʳ juillet 2013, au moment de son entrée dans l’UE, on présentait la Croatie comme étant plutôt eurosceptique. Le chemin jusqu’à l’adoption de l’euro paraissait complexe et lourd en sacrifices, mais en dix ans, le pays a retrouvé le chemin de la croissance et le chômage a été divisé par deux. En 2022, près d’un Croate sur deux était favorable à l’euro. «Il y a une double situation», explique Jean-Arnault Dérens, historien spécialiste des Balkans, «d'un côté, bien sûr, le gouvernement se félicite de ce double succès de rejoindre finalement assez vite l'espace Schengen et la zone euro. Du côté de la population, il y a moins d'enthousiasme ou une certaine forme d'indifférence».
En revanche, l’adoption de l’euro va faciliter l'arrivée des touristes étrangers en Croatie. «La Croatie est un pays qui s'est très largement désindustrialisé» souligne l’historien, également rédacteur en chef du ‘Courrier des Balkans’, et le tourisme représente un quart du PIB. Le secteur va bénéficier à la fois de la monnaie unique et de la libre circulation des personnes.
Les frontières extérieures de l’UE
Aujourd'hui, Zagreb va devoir renforcer ses contrôles aux frontières avec la Bosnie-Herzégovine et la Serbie, deux pays qui sont sur la dite "route des Balkans". Empruntée par des dizaines de milliers de migrant, elle est «redevenue la principale voie d'accès à l'Union européenne, avec des chiffres très importants: plus de 200% de passage en 2022 par rapport à l'année précédente», précise Jean-Arnault Dérens.
Plusieurs ONG ont dénoncé les pratiques croates, toujours actuelles, de refoulement violent des migrants aux frontières. Une politique contraire «non seulement au droit européen, mais même au droit international» ajoute Jean-Arnault Dérens. «Un pays n'a pas le droit de refouler illégalement de manière extrajudiciaire les personnes qui se présentent à ses frontières, et ainsi d'empêcher des gens de demander l'asile», dit-il avant de souligner que «de nombreux députés se sont demandés s'il était possible de faire entrer la Croatie dans l'espace Schengen, quand sa police a des pratiques aussi violentes aux frontières». La question du contrôle des frontières a en effet été posée au Parlement européen au moment des débats sur l'entrée de la Croatie dans l’espace Schengen.
Le risque, continue l’historien, c’est que la Croatie perçoive son entrée dans l’espace Schengen comme «un blanc-seing donné à ces pratiques de refoulement très violents».
Les relations avec la Bosnie-Herzégovine et la Serbie
Avec l'arrivée de la Croatie au sein de l'espace Schengen, les relations avec certains pays voisins pourraient s'en voir modifiées. Le gouvernement de Bosnie-Herzégovine a déjà exprimé quelques réserves quant à l’avenir des échanges avec la Croatie. Les deux pays partagent une longue frontière et traditionnellement commercent beaucoup. «Ça va sûrement poser quelques difficultés pour le transport de marchandises», admet Jean-Arnault Dérens, car le régime du contrôle aux frontières change. Le franchissement de la frontière sera plus long et plus compliqué. «Ce n'est donc a priori pas forcément une très bonne nouvelle pour la Bosnie-Herzégovine», affirme l’historien.
Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici