L'Arménie critique vis à vis de son allié russe
Entretien réalisé par Jean-Charles Putzolu - Cité du Vatican
L’Arménie n’accueillera pas en 2023 les exercices militaires de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), l’alliance guidée par la Russie, dont l’Arménie est membre. Erevan, par ce refus, proteste contre l’inaction de son allié face au blocage depuis plusieurs semaines du «corridor de Latchine», un couloir d’approvisionnement vital pour 120 000 Arméniens enclavés dans le Haut-Karabakh; blocage opéré par le rival azerbaïdjanais. Pour le gouvernement arménien et en fonction des accords de cessez-le-feu tripartite du 10 novembre 2020, la mission des troupes russes présentes sur le territoire et garantes de le paix, est aussi de sécuriser l’acheminement de vivres et de médicaments aux Arméniens de l’enclave. Or Moscou, affaibli par la guerre en Ukraine, veut éviter de s’aliéner l’Azerbaïdjan, pays vers lequel la Russie exporte son pétrole et qui lui permet de contourner les sanctions imposées après l’invasion de l’Ukraine.
Pour Tigrane Yégavian, chercheur au Centre français de recherche sur le renseignement, «l'Arménie est fortement mécontente de l'ambiguïté de la Russie vis à vis à la fois de sa propre sécurité, de sa propre défense, de sa souveraineté, de son intégrité territoriale et, d'autre part, de la mission des forces russes d'interposition et de maintien de la paix stationnées dans l'enclave du Haut-Karabakh». Erevan s’est retrouvé deux fois, en deux ans, en situation de conflit avec l’Azerbaïdjan : en mai 2020 et en septembre 2022, perdant environ 170 km2 de son territoire, passé sous le contrôle de Bakou.
Risque d’isolement de l’Arménie
Le Premier ministre arménien Nikol Pachinian se dit insatisfait du comportement des Russes, et prend le risque de s’isoler alors que son pays «n’a pas d’alternative crédible pour se procurer un autre mécanisme de sécurité», souligne Tigrane Yégavian, ajoutant que Moscou est parfaitement conscient de cette situation. Cependant, depuis l’invasion russe de l’Ukraine, et à cause des sanctions internationales qui ont suivi, les Russes ont développé des intérêts stratégiques majeurs avec l’Azerbaïdjan. C’est par ce pays frontalier que transitent les exportations de gaz et de pétrole russe.
L'Azerbaïdjan est donc devenu un moyen de contourner les sanctions et Bakou s’accommode de cette situation pour exercer une pression sur la Russie afin que cette dernière ne soit pas dans une position de défendre l'Arménie militairement ; «le pire scénario pour les Russes, commente Tigrane Yégavian, serait une confrontation militaire avec l’Azerbaïdjan».
Échec de la communauté internationale
L'Arménie qui se sent complètement abandonnée, cherche, sans la trouver, une assistance militaire de la part des pays occidentaux. Erevan essaie d'agir au niveau multilatéral via le Conseil de sécurité des Nations unies, mais en décembre, une réunion du Conseil a échoué à adopter une résolution condamnant l'Azerbaïdjan pour le blocage du corridor de Latchine. Seule l’Inde aujourd’hui pourrait approvisionner l'Arménie en armements, en raison des intérêts géostratégiques communs.
En perspective, estime Tigrnane Yégavian, si l'Arménie continue d’essayer de se rapprocher de l'Occident, elle le paiera par un abandon total du Haut-Karabakh à l'Azerbaïdjan. L’alternative, c’est de se plier à la pression des Russes, qui cherchent le statu quo, le gel du conflit. Moscou n’a aujourd’hui aucun intérêt à encourager une solution politique du conflit du Haut-Karabagh via un accord de capitulation de l’Arménie qui se traduirait par un retrait des troupes russes de leur ancien «pré carré».
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