Élections anticipées au Kazakhstan dans l'espoir de moderniser le pays
Entretien réalisé par Myriam Sandouno – Cité du Vatican
Le 19 janvier dernier, la présidence Kazakh a annoncé la dissolution de l’assemblée nationale ainsi que des parlements locaux, et la tenue d’élections anticipées le 19 mars prochain. Ces élections «constitueront la dernière étape de la réinitialisation des institutions étatiques pour donner corps à la formule: un président fort, un parlement influent, un gouvernement responsable». Elles parachèveront «le processus de transition vers un système administratif plus compétitif» entamé en juin dernier avec un référendum constitutionnel. La réforme de la loi fondamentale du pays a été adoptée par 77 % des voix lors de ce scrutin censé clore l'ère de l'ex-président Noursoultan Nazarbaïev et de son clan, aux commandes de ce pays d'Asie centrale pendant 30 ans.
Le président Tokaïev, réélu fin novembre avec 80% des voix, veut donner un nouvel élan au pays, de surcroît après des manifestations contre la hausse des prix du carburant ayant fait au moins 238 morts il y a un an.
Quelle direction prend ce pays riche en minerais et hydrocarbures? Marie Dumoulin, directrice du programme Europe élargie du centre de réflexion européen ECFR, revient sur la promesse des autorités d’un «nouveau Kazakhstan».
Il faut reprendre la séquence qui s’est ouverte par les protestations de janvier de l’année dernière. Peu de temps après ces protestations le président Tokaïev avait indiqué qu’il allait initier des réformes politiques et économiques pour répondre aux attentes de la population. Ces réformes se sont faites en deux temps. On a eu d’abord un certain nombre d’amendements à la Constitution qui ont été apportés par un référendum en juin 2022, et notamment un changement de la composition de la chambre basse du parlement, la chambre haute d’ailleurs également, pour la rendre sans doute plus représentative.
En septembre le président Tokaïev a annoncé souhaiter le passage à un mandat unique de 7 ans pour le chef de l’État, et dans la foulée, il a annoncé remettre son mandat en jeu, donc il a été réélu au cours des élections présidentielles en novembre de l’année dernière, désormais pour un mandat de 7 ans. Et donc, on entre maintenant dans la mise en œuvre des réformes constitutionnelles qui avaient été adoptées l’an dernier. Cette élection qui a été convoquée pour le mois de mars, c’est celle qui permettra d’élire la chambre basse du parlement selon les nouvelles modalités de ces élections. (Ndlr: la procédure d'enregistrement des formations politiques a été simplifiées, tandis que le seuil d'éligibilité pour qu'ils entrent au Parlement a été abaissé de 7% à 5%)
Le président Tokaïev a été réélu notamment sur la promesse d’un «nouveau Kazakhstan». Comment ce projet est-il reçu au sein de la population?
Le slogan a été proposé effectivement très tôt après les protestations de janvier. Dès le mois de mars, le président Tokaïev utilise cette expression de «nouveau Kazakhstan». En réalité depuis lors, à part ces réformes constitutionnelles et un effort de lutte contre la corruption, très peu de contenu a été donné, et la manière dont l’élection présidentielle s’est déroulée en novembre dernier s’est inscrit dans la continuité de ce qui se faisait auparavant. Ce qui fait qu’il y a un certain scepticisme désormais dans une grande partie de la population sur l’idée d’un nouveau Kazakhstan. Les autorités ont d’ailleurs elles-mêmes renoncé à ce slogan et parlent maintenant plutôt d’un «Kazakhstan juste». Elles ont utilisé d’autres slogans pour désigner l’ensemble des réformes qu’elles souhaitaient mettre en œuvre.
Le président est-il vraiment populaire ou c’est une popularité en trompe l’œil?
Je crois qu’il y a une vraie popularité. L'élection présidentielle s'est déroulée comme toutes celles qui ont eu lieu depuis l’indépendance du pays, donc on ne peut pas partir du score électoral de Kassym-Jomart Tokaïev pour mesurer sa popularité. En revanche, il y a certainement une popularité assez bien établie. Même s'il doit aussi composer avec la popularité de son prédécesseur qui s’était érodée dans les dernières années mais qui restaient assez élevée.
Plusieurs réformes politiques ont été entreprises ces dernières semaines, notamment une qui facilite la procédure d’enregistrement des formations politiques, et qui a permis à de nouveaux partis de s’enregistrer. Peut-on enfin parler de démocratisation?
Je crois qu’on a plutôt à faire à une modernisation du fonctionnement de l’État, et à une tentative de remettre les institutions au cœur du fonctionnement de l’État. En ce qui concerne cette modification de la procédure d’enregistrement des partis, pour l’instant elle ne s’est traduite que par l’enregistrement de deux nouveaux partis politiques. Alors qu’il y a une bonne dizaine, voire un peu plus de partis politiques qui sont en attente d’enregistrements depuis des années qui, pour l’instant, ne l’obtiennent pas. Et donc il y a sans doute une forme de trompe l’œil quand même.
Parallèlement, quelles réformes ont mises en place au niveau économique?
Les autorités ont surtout concentré leurs efforts sur la lutte contre la corruption, pour récupérer les actifs qui avaient été sortis du pays en fraude, de manière à pouvoir, grâce à ces actifs et à ces moyens financiers qui auront été libérés, initier des grands chantiers pour améliorer la qualité de vie de la population: construire des écoles, des hôpitaux, etc. Il y a énormément d’attentes de ce point de vue là, du fait de la croissance démographique du pays, notamment dans les régions du sud, mais aussi en raison de la modification de la structure de la population, avec une population urbaine qui a été en croissance ces dernières années.
il faudra également voir si le mandat de sept ans que le président Tokaïev a obtenu en novembre dernier lui permettra d’aller plus loin dans la réforme institutionnelle et d’établir des mécanismes institutionnels équitables pour préparer la prochaine élection. En somme, voir s’il y a, au terme de ces sept ans, un système qui est plus démocratique.
Dans quelles mesures les difficultés économiques sont-elles un frein aux réformes politiques?
C’est plutôt l’incertitude générée par le contexte géopolitique qui crée une certaine inquiétude de la part des autorités. On a vu au tout début de la guerre en Ukraine la monnaie nationale s’effondrer en parallèle de l’effondrement du rouble. On a vu aussi des problèmes d’approvisionnements sur certains produits et une très forte inflation. Cela s’est un tout petit peu amoindri, mais il est clair que cela constitue un facteur d’inquiétude parce que ça pourrait remettre en cause une partie de l’agenda social, ou plus précisemment, la capacité du gouvernement à mettre en œuvre cet agenda social, s’il n’avait plus les moyens financiers de le faire.
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