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Une photo du défunt journaliste camerounais Martinez Zogo.  Une photo du défunt journaliste camerounais Martinez Zogo.   Les dossiers de Radio Vatican

Cameroun: Reporters sans frontières réclame justice pour Martinez Zogo assassiné

Après l’assassinat à Yaoundé du journaliste camerounais Martinez Zogo, les enquêtes se poursuivent pour déterminer les circonstances de sa mort. De hauts responsables des services de renseignements ont été interpellés, ainsi que l’homme d’affaire Jean-Pierre Amougou Belinga, arrêté le 6 février. L'ONG Reporters sans frontières reste déterminée à être «une force de soutien» pour que justice soit faite dans cette affaire.

Entretien réalisé par Myriam Sandouno - Cité du Vatican

L’assassinat du journaliste Martinez Zogo reste au cœur des débats au Cameroun, alors que le président Paul Biya au pouvoir depuis 41 ans a célébré lundi 13 février son 90ème anniversaire.  Enlevé le 17 janvier par des inconnus dans la banlieue de Yaoundé devant un poste de gendarmerie, le directeur général de la radio Amplitude FM Martinez Zogo âgé de 50 ans a été retrouvé mort cinq jours plus tard. Son corps portait des traces de violents sévices corporels.

Plusieurs personnalités camerounaises, de hauts responsables des renseignements camerounais et le puissant homme d’affaire, magnat de la presse Jean-Pierre Amougou Belinga interpellés, sont soupçonnés d’être impliqués dans sa mort. L’ouverture d’une enquête mixte gendarmerie et police a été ordonnée par le président camerounais Paul Biya.

L’organisation Reporters sans frontières qui suit de près cette affaire,espère que «ceux qui sont mêlés de près ou de loin à cette affaire puissent être traduits en justice et puissent être jugés». «On fera tout pour que ce soit le cas, et les enquêteurs camerounais auront toute leur part à faire dans cette histoire», a déclaré Arnaud Froger, responsable du Bureau Investigation de Reporters sans frontières (RSF).

Entretien avec Arnaud Froger, responsable de la cellule Investigation de RSF

Le journaliste Martinez Zogo a été assassiné au Cameroun, et plusieurs personnalités ont été interpellées par la police, que reprochait-on concrètement au journaliste?

Martinez Zogo est un journaliste, un directeur de radio qui dans le cadre de ses activités animait une émission intitulée «Embouteillage», dans laquelle il dénonçait régulièrement des scandales de corruption. Il s’est retrouvé à partir du mois de janvier en possession d’un certain nombre de documents assez compromettants concernant des opérations de détournements de fonds présumés, impliquant sans doute plusieurs caciques du régime de Paul Biya.

Il a commencé à en parler à l’antenne et c’est à partir de là qu’il a commencé à recevoir des menaces à partir du 9 janvier, donc un peu plus d’une semaine avant qu’il ne soit kidnappé et qu’il soit finalement passé à tabac, puis tué. Donc, on peut soupçonner que ces interventions récurrentes à l’antenne, la possession de ces documents extrêmement compromettants pour une partie de certaines de ces personnalités-là aient pu être un mobile, même s’il faut être prudent, pour mener cette opération à l’intimider, puis finalement qui s’est transformé en une opération dont il n’est pas sorti vivant.

L’assassinat de ce journaliste n’est-il pas le symbole des rivalités au sein du camp présidentiel, pour la succession de Paul Biya?

Cela intervient dans un contexte de guerre des clans, dans le cadre effectivement de Paul Biya. Et donc on peut en effet imaginer que ces rivalités extrêmement fortes se jouent parfois par médias interposés et ces affaires-là, ces compromissions-là auxquelles Martinez Zogo avait eu accès et qu’il avait révélé dans l’intérêt du grand public aient pu constituer un mobile pour le réduire au silence.

C’est en tout cas la piste principale sur laquelle travaillent les enquêteurs, et c’est aussi ce que confirment à la fois les déclarations faites et auxquelles on a eu accès, du leader du commando Justin Dawne, un membre de la DGRE (Direction générale de la recherche extérieure), ça concorde aussi avec l’arrestation de Mr Belinga qui était l’une des principales personnalités visées par ce document compromettant.

Je précise par ailleurs que RSF a retrouvé la trace de menaces très concrètes, faites par Mr Belinga ou par son entourage. Mr Belinga a nommément cité Martinez et a déclaré auprès de ses collaborateurs qu’il voulait en finir avec lui-même de l’effacer.

Pourquoi une telle célérité de la justice camerounaise dans cette affaire?

Je pense que le premier élément d’explication c’est l’extrême violence et l’onde de choc que cela a provoqué dans la société camerounaise. La photo du corps mutilé a circulé beaucoup sur les réseaux sociaux a profondément choqué l’opinion publique. Il était difficile qu’il n’y ait pas une réaction prompte. Ensuite cela s’inscrit très clairement dans un contexte très fort de rivalités, de guerre des clans, ce qui peut être un facteur de motivation pour certaines parties à aller jusqu’au bout de cette enquête. Et puis le troisième élément d’explication, c’est que les enquêteurs ont complètement mis à profit l’effet de surprise des deux vagues d’arrestations.

Il y a un nombre de personnes qui ont été arrêtées, qui ne s’attendaient pas à être arrêtées, parfois des collaborateurs de ces personnes-là qui n’étaient sans doute pas liés de très près à cette affaire, mais qui en connaissaient peut-être. Certaines parties ont également fait l’objet d’arrestations, donc il y a une masse considérable d’éléments, qui a été récoltée lors de ces deux vagues d’arrestations. Ce qui a permis de faire progresser sans doute l’enquête plus rapidement que dans d’autres circonstances.

Peut-on croire en la sincérité de la justice camerounaise?    

L’institution judicaire camerounaise n’est pas réputée pour son énorme degré d’indépendance et pour rendre des décisions qui sont justes. Il y a eu tellement d’affaires qui ont servi à éliminer les opposants ou des rivaux, ou d’affaires qui concernaient les journalistes, ou des membres de la société civile qui ont été tués. Donc il faut être vigilant, la première étape c’est quand même de faire en sorte que l’enquête puisse aller au bout.

Ce n’est pas la première fois qu’un crime d’une telle ampleur est commis contre un journaliste camerounais. Cela arrive régulièrement, il suffit de se souvenir l’année dernière du cas de Paul Chouta qui avait été récupéré un soir complètement passé à tabac, visage complètement tuméfié, laissé quasiment pour mort au bord d’une route, par un commando qui n’a jamais été identifié. Donc oui!, les journalistes vivent dans un climat hostile et dangereux, ils le savent.

Et les moyens qui sont déployés pour les protéger ne sont pas à la hauteur des enjeux par rapport au droit à l’information, et par rapport au rôle capitale qu’ont les journalistes pour informer le public et les camerounais. Nous on sera une force de soutien pour la justice, pour Martinez Zogo, pour que l’enquête progresse bien. Notre objectif c’est que ceux qui sont mêlés de près ou de loin à cette affaire puissent être traduits en justice et puissent être jugés. Nous ferons tout pour que cela soit le cas, et les enquêteurs camerounais auront toute leur part à faire dans cette histoire. Il faudra beaucoup de courage parce que les pressions et les tentatives de manipulations et corruptions sont extrêmement nombreuses dans le cadre de cette affaire.

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14 février 2023, 14:41