Présidentielle à Chypre, l’impossible réunification de l'île
Entretien réalisé par Xavier Sartre – Cité du Vatican
Corruption, économie et migrations: voilà les sujets de préoccupations majeurs des électeurs chypriotes qui se sont exprimés dimanche dernier lors du premier tour de la présidentielle. L’avenir de l’ile, sa réunification éventuelle ou les rapports avec le gouvernement de Chypre du Nord ont été les grands absents de la campagne électorale. Et rien ne dit que les deux finalistes du scrutin, l’ancien chef de la diplomatie, Nikos Christodoulides, soutenu par les centristes, et Andreas Mavroyiannis, qui l’est par Akel (communiste), ne s’emparent de ce sujet malgré leur passé diplomatique et de négociateur.
L’intérêt pour la question a diminué dans la partie grecque de l’ile, seule reconnue officiellement par la communauté internationale, au contraire de la partie turque. Mais dans cette république turque de Chypre Nord, la population est elle-même partagée sur l’avenir du territoire. Mais les divisions existaient bien avant l’intervention armée turque de 1974 et depuis, rien n’a été fait pour réconcilier les Chypriotes entre eux.
Aucune citoyenneté commune
«La notion de citoyenneté n’a pas été créée et encore moins cultivée par les acteurs de la politique chypriote et par les acteurs extérieurs, les Britanniques, les Grecs et les Turcs» relève Etienne Copeaux, historien, spécialiste de Chypre et auteur avec Claire Mauss-Copeaux de Taksim, Chypre divisée (Inalco Presses).
Chypre, qui n’a jamais appartenu à la Grèce, est passé d’une domination à l’autre au cours des siècles, les Ottomans et les Britanniques étant les deux derniers. Sa société était envisagée sous le prisme de deux communautés religieuses, l’une orthodoxe, de langue grecque, l’autre musulmane, de langue turque. «Il vaudrait d’ailleurs mieux parler de communautés orthodoxe et musulmane que grecque et turque, ce critère étant décisif pour définir l’appartenance à l’une ou l’autre» précise le fin connaisseur de l’ile.
Du temps de la colonisation britannique, les nationalistes orthodoxes ont regardé vers le royaume de Grèce, prônant l’unification avec le continent (enosis), les nationalistes musulmans préférant une division de l’ile. «Aucune citoyenneté ilienne qui soit basée sur les caractéristiques des habitants de l’ile» n’a vu le jour, note Etienne Copeaux, alors que l’identité chypriote, qu’elle soit musulmane ou orthodoxe, n’a pas grand-chose à voir avec leurs correspondances continentales.
La Turquie, acteur incontournable
L’arrivée massive et constante de Turcs «anatoliens» après 1974 et l’occupation du nord de Chypre par l’armée turque, a bouleversé par ailleurs la communauté musulmane présente dans l’ile depuis le XVIe siècle. «Le but d’Ankara, qui est ici l’acteur principal, est justement de modifier la culture chypriote turque et de faire de ce territoire un territoire semblable à n’importe quel département turc», voire de l’annexer à la République de Turquie, analyse le spécialiste de la société chypriote.
Dans ces conditions, difficile d’envisager un rapprochement de toutes ces communautés qui n’ont fait que s’éloigner l’une de l’autre depuis 1974. Si les Chypriotes grecs n’envisagent plus de s’unir à la Grèce, les Anatoliens espèrent toujours rejoindre la Turquie. Au final, seuls les Chypriotes turcs sont favorables à une réunification. Le statu quo semble du coup prévaloir à court terme. «Il n’y a pas de solution pour l’instant» reconnait Etienne Copeaux, d’autant que «la Turquie renforce son emprise constamment sur le territoire et la population, notamment grâce à l’armée, avec la présence d’au moins 30 000 soldats qui occupent une partie de l’Union européenne (la souveraineté de la République de Chypre s’étendant pour la communauté internationale sur toute l’ile, NDLR). Elle envoie ses enseignants, ses religieux, veut mettre fin au syncrétisme qui existait à Chypre. C’est très dur pour ceux qui au nord et au sud voulaient la réconciliation et la réunification» concède le chercheur.
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