Tunisie: les étudiants africains exigent des mesures concrètes contre le racisme
Myriam Sandouno – Cité du Vatican
En Tunisie, les violences et attaques racistes contre la communauté d’Afrique subsaharienne, survenues suite aux commentaires du président Kais Saeid sur l’immigration clandestine le 21 février dernier, suscitent toujours inquiétude et psychose.
À l’instar de nombre de migrants africains, des étudiants se sont aujourd’hui retrouvés à la rue même étant en règle, en raison d’un durcissement des contrôles sur les contrats de location. D’autres ont été victimes de ce qu’ils appellent: «la chasse aux noirs», menées par des Tunisiens. Ces étudiants qui ont repris le chemin de l’université depuis le 6 mars, ressentent toujours une certaine peur malgré l’accalmie actuelle de la situation. Ils attendent des autorités tunisiennes des mesures plus concrètes contre les attaques racistes.
Vague de rapatriements
Si certains étudiants ont décidé de rester en Tunisie, d’autres par contre ont fait le choix de retourner dans leurs pays d’origine, comme nombre d’Africains subsahariens. Le 1er mars, la Guinée a organisé le premier vol de rapatriement de ses ressortissants, puis le Mali et la Côte d'Ivoire qui, depuis le 4 mars, a accueilli au total 725 personnes, selon Kacou Adom, ministre ivoirien délégué aux Affaires étrangères.
Mercredi 15 mars, soixante-quatre ressortissants burkinabè ont été rapatriés de Tunisie. D’autres groupes regagneront éventuellement leur pays dans les prochains jours, ont précisé les autorités burkinabè.
La recrudescence de violences racistes en Tunisie fait suite au discours tenu le 21 février dernier, par le président tunisien, qui avait affirmé que la présence en Tunisie de «hordes d'immigrés clandestins» provenant d'Afrique subsaharienne, était source de «violences et de crimes», et relevait d'une «entreprise criminelle» visant à «changer la composition démographique» du pays. Des propos qui ont été condamnés par l’Union africaine et Amnesty international, ainsi que par l’Organisation internationale de la francophonie.
«Les propos du président tunisien ont révolté beaucoup d'Africains, dont moi-même, qui suis de l'Afrique subsaharienne et qui a vécu et travaillé en Tunisie», a déclaré la sécrétaire générale de la Francophonie Louise Mushikiwabo, d’origine rwandaise.
Jean Bedel Gnably, président de l’association des ivoiriens actifs en Tunisie revient les violences racistes dont ils ont été victimes.
Un peu partout sur l’étendue du territoire, explique-t-il, on a enregistré des agressions, des expulsions, des actes racistes et discriminatoires, interdiction de monter dans des véhicules de transport en commun, de s’asseoir sur des bancs à l’arrêt de certains bus. Notre communauté a ressenti de la psychose et s’est même cloîtrée, pour certains. Ils ont eu peur de sortir de chez eux. Il y a également une ville comme Sfax, où nos communautaires ont été agressés par plusieurs Tunisiens dans un quartier qu’on appelle Saltnia. On a dénombré plusieurs blessés, il y avait trois blessés graves. Il a fallu l’intervention de certains organismes internationaux pour que ces blessés soient pris en charge dans des hôpitaux. D’autres avaient peur d’aller à la police pour dénoncer, puisqu’ils se sont dits qu’une fois là-bas, ils allaient peut-être les appréhender.
Et face à toutes ces agressions, comment ont réagi les autorités tunisiennes?
De façon responsable et officielle, il n’y a eu ni déclarations, ni d’actes de soutiens forts, qui se matérialisent par exemple en prise en charge médicale, en restitution peut-être de biens. Donc, si on se base sur ces faits-là, non! L’État tunisien n’a pas encore réagi. Maintenant, à chaque fois que ces actes se produisent, de façon ponctuelle, on appelle la police qui intervient sur les lieux. Ces interventions, oui! il y en a eu.
Que reproche-t-on concrètement la communauté africaine subsaharienne?
On nous reproche d’être venus en Tunisie de façon illégale, pour pouvoir envahir le pays, on nous appelle les "envahisseurs". Ensuite, on nous dit que nous sommes venus en Tunisie dans l’optique de voler les richesses, c’est carrément farfelu!. Et par la suite, à cause de nous des Tunisiens ne trouvent plus de boulot, ils ne trouvent plus à manger, on nous accuse d’être la cause de la crise économique sociale et politique qui enrhume le pays depuis maintenant plusieurs années.
Moi je suis en Tunisie depuis 2017 et j’ai vu cette crise-là. Je l’ai vue commencer. Mais, il n’y avait pas ses 21 644 Subsahariens qui sont là aujourd’hui. Il y avait moins que ça, et la crise perdurait toujours. Malheureusement, nous sommes aujourd’hui le bouc émissaire de quelque chose à laquelle nous aussi sommes confrontés.
Quel climat règne actuellement après ces événements malheureux?
Aujourd’hui outre ces agressions, ce à quoi on assiste et qui monte en puissance, ce sont les expulsions dans les maisons, puisque la plupart des Noirs, des Subsahariens vivant en Tunisie, n’ont pas de contrat de bail avec leurs bailleurs. Ces personnes sont donc mises à la porte par leurs bailleurs. Concernant tous ceux qui ont fait la rotation à l’ambassade de Côte-d’Ivoire, pour les Ivoiriens, on dénombre 255 personnes qui sont passées au fur et à mesure pour pouvoir trouver un abri ou quelque chose de provisoire, avant de rentrer en Côte-d’Ivoire. La Côte-d’Ivoire a procédé en une semaine à 4 vols de rapatriements, près de 600 personnes sont déjà rentrés. On ne sait pas ce qui va se passer après, mais on observe un calme latent.
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