Législatives en Thaïlande: les électeurs aspirent à la stabilité
Entretien réalisé par Marie Duhamel - Cité du Vatican
En veste de survêtement aux couleurs de la Thaïlande, le Premier ministre sortant est allé, hissé sur le toit d’un camion de campagne, dans un gymnase de Bangkok pour enregistrer son parti sur les listes électorales dans la perspective des législatives du 14 mai prochain. C’est dans ce centre sportif que début avril, pendant une semaine, les formations politiques en lice ont fait connaître le nom de leurs candidats, jusque trois par parti.
Prayuth Chan-o-Cha est depuis près de dix ans aux affaires. Pour quel bilan? Docteur en études extrême-orientales, Marie-Sybille de Vienne enseigne l'histoire économique et la géopolitique de l'Asie du Sud-Est à l'INALCO. Elle est également membre de l’Académie des sciences d’Outremer.
L’ex-chef de la junte a pris le pouvoir à la faveur d’un coup d’état en 2014, il a ensuite été légitimé par les élections de 2019. À la tête d’un régime civil, ses années de pouvoir n’ont pas été caractérisées par des «innovations notables» ou des «mesures radicales en terme de droit, d’infrastructures», estime Marie-Sybille de Vienne, professeur à l’Inalco. La croissance n’a pas été calamiteuse, mais pas extraordinaire n’ont plus. En revanche, la gestion de la pandémie de Covid-19 a «globalement été plutôt bien géré», ce que ne manque pas de souligner le candidat Prayuth. «La Thaïlande doit aller de l’avant pour être prête en cas d’événements imprévisibles», face aux caméras, l’ancien général fait valoir son expérience: «Il faut des gens qui soient capables de faire le travail. S’ils ne l’ont jamais fait, ils ne peuvent pas le faire. Croyez-moi c’est difficile».
Les proche des militaires divisés
Le savoir-faire revendiqué par Prayuth Chan-o-Cha ne garantit pas son succès. Au contraire, sa formation politique, l’United Thai Nation Party, n’arrive qu’en troisième position dans les sondages. Selon Marie-Sybille de Vienne, l’ancien général apparait aujourd’hui comme une figure «usée», affaiblie dans son propre camps. Les acteurs politiques proches des militaires sont divisés. Plusieurs signes en témoignent. D’abord, le candidat Prayut a rompu avec le parti qui leur a permis de remporter le scrutin de 2019, le Palang Pracharat. Ensuite, des membres de son camps se sont opposés publiquement à sa candidature, d’autant que s’il l’emportait, il ne pourrait rester que deux ans au pouvoir conformément à la loi fondamentale du pays. Enfin «si le Sénat était acquis au gouvernement précédent, rien ne dit qu’aujourd’hui les sénateurs ne soient pas acquis d’autres formations, au Palang Praahrat et à d’autres partis qui appartiennent à la coalition, souligne la professeur à l’Inalco, parce que plus le pouvoir s’est exercé, plus le sénat a eu tendance à être moins monolithique qu’avant». Les sénateurs, nommés par l’armée selon la constitution rédigée en 2017 par la junte, pourraient donc soutenir d’autres personnalités que celle du Premier ministre sortant, or, leurs votes est indispensable à une victoire, le Premier ministre étant choisi à la majorité des deux chambres.
L’ambition de «Ung Ing»
De l’autre côté de l’échiquier politique, son adversaire rêve d’un raz-de-marée à la chambre des représentant pour contourner le sénat. Paetongtarn surnommée «Ung Ing» a, elle, choisi un stade de la capitale pour son intronisation. La foule, tout de rouge vêtue, a rugi au moment de son apparition sur l’estrade. À la suite de son père -le milliardaire très populaire bien qu’exilé Thaksin Shinawatra qui gouverna de 2001 à 2006, mais aussi de sa tante Yingluck renversée par les militaires en 2013 après quatre ans de pouvoir, la jeune femme compte emporter 310 des 500 sièges de l’Assemblée. L’héritière, diplômée en science politique et directrice générale adjoint d’un grand groupe d’hôtellerie, est la favorite du scrutin. Le nouveau visage politique de la famille a séduit. «Elle a fait campagne à huit mois de grossesse, ce qui est un exploit physique remarquable», souligne Marie-Sybille de Vienne. Mais derrière elle, se trouve encore le patriarche en exil.
Les Shinawatra, une popularité qui perdure
Plus de 20 ans après sa première victoire, la famille Shinawatra reste très populaire ce qui ne surprend par l’enseignante: «D’abord parce que ils ont développé au début des années 2000 une politique de soutien qui a été appréciée, notamment avec les fonds accordés aux villages et la mise en place d’une première étape d’une couverture de santé généralisée (…) Les gens se souviennent de certaines choses». Ensuite, poursuit-elle, les Shinawatra ont un ancrage régional très fort dans le nord et l’est du pays. Ils disposent également «de moyens assez conséquents compte-tenu de la présence de réseaux d’affaires qui vont soutenir les différents avatars du Thai Rak Thai (ndlr: les Thaïs qui aiment les Thaïs, le parti de Thaksin en 2001) au Pheu thai aujourd’hui». Le parti est en tête des intentions de vote. Il ratisse plus large que celui qui le suit Move Forward, qui mobilise plutôt les jeunes urbains.
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