Le captagon, nouvelle monnaie d’échange pour al-Assad
Entretien réalisé par Xavier Sartre – Cité du Vatican
Le 22 juin, le sultanat d’Oman annonçait la saisie de plus de six millions de comprimés de captagon, une drogue de synthèse de la famille des amphétamines. Le 13 juin dernier, l’Irak arrêtait un trafiquant et 44 000 comprimés destinés au marché irakien. Fin avril, le gouvernement saoudien lançait une vaste campagne antidrogue, combinant contrôle de véhicules et sensibilisation de la population aux effets nocifs de ces pastilles bon marché dont raffolent les jeunesses des pays arabes. D’abord connue comme la drogue des jihadistes à l’époque du califat de l’organisation de l’État islamique, le captagon s’est diffusé dans toutes les sociétés.
C’est la Syrie qui en est devenue le premier producteur. Les laboratoires où sont fabriquées les pilules sont présents à travers tout le pays, que ce soit dans les territoires contrôlés par le régime de Bachar al-Assad ou dans ceux échappant à son autorité. Et c’est le pouvoir syrien qui en tire le plus de bénéfices: le marché est estimé à environ 10 milliards de dollars par an. C’est donc «tout simplement pour des raisons financières» que le régime est impliqué, explique David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’IRIS à Paris et rédacteur en chef de la revue Orient stratégique chez l’Harmattan. «À titre de comparaison, l’exportation d’huile d’olive rapporte 120 millions de dollars», précise-t-il. «Cela permet au régime de pallier le manque de ressources imputables aux multiples sanctions dont il fait l’objet depuis des années».
Un moyen de pression sur la Ligue arabe
Mais «c’est aussi un moyen de pression géopolitique sur ses voisins dont certaines ont soutenu l’insurrection», poursuit le chercheur. Le captagon est devenu «un argument entrant en ligne de compte pour la question de la normalisation des relations entre la Syrie et les pays arabes et la réintégration de Damas dans la Ligue arabe». «Cela a fait l’objet de négociations étroites et a été évoqué à de multiples reprises», ajoute-t-il.
Si le régime syrien ne reconnait pas officiellement être le principal acteur de ce trafic, difficile de ne pas penser que la Syrie soit devenue un narco-État, tant l’implication d’acteurs clés de ce marché sont proches du président syrien, dont notamment son frère Maher. Ils interviennent à toutes les étapes, de la fourniture du matériel, à la fabrication, au transport, à l’exportation en passant par la mise en sécurité de l’ensemble.
«Il y a aussi une expertise pharmacologique liée au programme militaire chimique du régime, même s’il est démantelé depuis 2013, qui lui permet de reconvertir des laboratoires à des fins de production de produits civils», explique le chercheur associé à l’IRIS.
Face à cela, les pays arabes ont mis en demeure la Syrie de cesser ce trafic. Cet accord a été acté lors du sommet de Djeddah le 19 mai dernier, lors de la réception de Bachar al-Assad en Arabie saoudite. Mais l’arrêt du trafic signifierait une perte conséquente de revenus pour son régime. D’où la demande implicite d’augmenter les aides au pays pour sa reconstruction. «On est dans une logique transactionnelle», constate le rédacteur en chef de la revue Orient stratégique. Mais rien ne dit que Damas sera en mesure de tout arrêter du jour au lendemain.
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