Le Cameroun anglophone, toujours sous tension
Entretien réalisé par Myriam Sandouno - Cité du Vatican
Principalement peuplées par la minorité anglophone du Cameroun, les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du pays, sont le théâtre d’un conflit sanglant depuis plus de six ans entre les rebelles séparatistes et l’armée camerounaise. «Exécutions, tortures et viols, ainsi que des incendies d’habitations» sont entre autres atrocités commises par les deux camps selon Amnesty International qui, dans un rapport publié le 4 juillet dernier a dénoncé de «graves violations des droits humains».
Des civils tués
Le 16 juillet dernier, 10 civils ont été tués et deux personnes blessés dans une attaque des rebelles armés dans un quartier de Bamenda dans le Nord-Ouest du pays. Selon les autorités, «près d'un débit de boisson, une dizaine de sécessionnistes, vêtus d'uniformes semblables aux tenues militaires et munis d'armes automatiques, ont rassemblé plusieurs citoyens avant d'ouvrir un feu nourri et aveugle sur ceux-ci». Une enquête a été ouverte ont-ils indiqué.
La crise anglophone résulte de la répression en 2016 et 2017, des manifestations pacifiques d’anglophones, qui estiment être ostracisés et marginalisés par le pouvoir de Paul Biya dominé par la majorité francophone. Le chef de l’État camerounais âgé de 90 ans, dirige le pays depuis plus de quarante-ans, où les violences ont fait plus de 6 000 morts et plus d’un million de déplacés.
L’appel à cesser les violences
Alertant sur les atrocités récurrentes dont sont victimes les civils depuis maintenant des années, Amnesty International invite les autorités à «stopper les violences», leur demandant «d’enquêter sur les allégations d’atteintes aux droits humains et d’autres crimes relevant du droit national commis dans le contexte de la violence armée dans les régions anglophones», et de «poursuivre en justice, et juger les responsables de ces actes, dans le cadre de procès équitables menés devant des tribunaux indépendants, impartiaux et compétents. Les victimes de ces crimes et violations ont droit à la justice et à réparation», a déclaré l’ONG.
Les enfants, victimes du conflit
Aujourd’hui de nombreux déplacés, dont des enfants souffrent de cette situation, fait savoir le père Ludovic Lado qui se prononce sur une crise qui semble être «oubliée par la communauté internationale et l’Union Africaine». Le prêtre jésuite camerounais, témoignant de la situation, souligne que de nombreux villages ont été rasés. «Ce sont des récits d’horreur vécus par ces personnes qui ont fui pour leur vie», raconte-t-il , laissant parfois derrière leurs proches. «D’autres ont vu leurs parents tués, sous leurs yeux par l’une ou l’autre faction». Le religieux évoque cette partie anglophone du Cameroun qui porte aujourd’hui «les cicatrices de 6 à 7 ans de violences».
Dans quelles conditions se trouvent aujourd’hui les victimes de cette crise qui se sont réfugiés dans d’autres zones?
Ils se retrouvent dans des zones francophones, où ils n’ont pas de parents, à quelques exceptions près de ceux qui avaient déjà des parents dans les zones francophones et qui les ont rejoints dans ces zones. Il y a aussi la question de la scolarisation des enfants. Il y en a beaucoup qui ont fait pratiquement 3 ou 4 ans sans aller à l’école. Parce que, aller à l’école dans ces zones était devenu très dangereux. Le grand désir qu’ils portent, c’est que la guerre se termine et qu’ils puissent rentrer dans leurs villages et leurs villes.
Les groupes séparatistes s’en prennent aux écoles, pourquoi visent-ils principalement les institutions scolaires?
Le droit à l’éducation est un droit de tout enfant. Les écoles et même les centres de santé étaient devenus des cibles des groupes séparatistes. Quand on parle de groupes séparatistes, dans un contexte comme celui-là, c’est une nébuleuse de groupes qui souvent même n’ont plus rien à voir avec la cause initiale de réclamation des droits à une certaine autodétermination. Il y a une sorte "d’ensauvagement" de la crise qui fait que les groupes de bandits qui n’attendaient que ce désordre pour se déployer, ont donc infesté le lieu et ont rendu la vie compliquée aux populations.
Cela fait des années que cette crise perdure au Cameroun, quelles ont été les actions menées par l’Église pour aider à trouver un terrain d’entente?
Au départ on a senti une fracture d’interprétation ou de lecture entre les évêques francophones et les évêques anglophones. On avait le sentiment qu’il y avait deux blocs, et ils n’arrivaient pas justement à tenir le même discours à l’égard du pouvoir qui avait dès le départ, opter pour une approche répressive, que de privilégier le dialogue. Mais ce qu’il faut saluer, c’est la proximité de l’Église dans les zones anglophones, et même dans les zones francophones où les réfugiés, les déplacés internes sont accueillis. Il y a beaucoup d’églises locales qui ont fait des efforts pour leur manifester leur hospitalité. À un moment donné l’Église a voulu rencontrer le pouvoir en place pour parler de la crise et offrir sa médiation. On se souvient que le feu cardinal Tumi avait multiplié des efforts, mais à chaque fois le pouvoir d’en face s’est fermé.
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