En Iran, retour de la police des mœurs
Alexandra Sirgant - Cité du Vatican
Cette même police des mœurs qui a arrêté Mahsa Amini en septembre dernier, estimant qu’elle ne respectait pas le code vestimentaire de la république islamique, fait son retour dans ce pays d'Asie de l'Ouest.
L’annonce est tombée le 16 juillet, soit 10 mois jour pour jour après la mort de la jeune kurde iranienne. La police iranienne explique rétablir ces patrouilles, dissoutes en décembre, pour sanctionner les femmes de plus en plus nombreuses à ne pas porter le voile dans les lieux publics. En effet, depuis les manifestations sans précédent qui ont suivi la mort de Mahsa Amini, les iraniennes de tout âge et de tous milieux délaissent massivement le voile.
Comment interpréter cette restauration de la police des mœurs?
Selon Bernard Hourcade, géographe spécialiste de l’Iran et directeur de recherche émérite au CNRS, il ne s’agit pas forcément d’un retour en arrière, mais plutôt d’un effet d’annonce du gouvernement.
À quoi va ressembler cette nouvelle police des moeurs?
Les plus radicaux se rendent compte que les lois concernant le foulard sont extrêmement faibles en Iran, c’est-à-dire quelles ne sont encadrées que par des décrets. Avec le drame de Mahsa Amini, ils se sont également rendus compte que la police des mœurs est extrêmement marginale, et non contrôlée. Donc ils ont décidé de refaire des lois et de refaire une police des mœurs beaucoup plus structurée, encadrée et respectueuse des réglementations. Donc, cette nouvelle police des mœurs est plus sérieuse, moins anarchique mais aussi plus technologique. Le préfet de police de Téhéran ne cesse d'être la radio et la télévision pour dire que désormais, avec la reconnaissance faciale, les ordinateurs et d’autres appareils sophistiqués, ils vont pouvoir traquer les femmes qui ne sont pas habillées décemment. Mais c'est un phénomène d'affichage parce que cette réaction sécuritaire, elle ne peut être que limitée face à la détermination des iraniennes aujourd’hui.
Une amie iranienne à qui j’ai téléphoné hier après-midi me disait qu’elle n’avait pas mis son voile hier pour aller au marché. Pourtant, quand elle a croisé la police, celle-ci a regardé ailleurs. La police n'a pas envie de créer des incidents. Il faut dépasser le cadre symbolique des femmes en tchador noir, arrêtant une jeune femme dans les rues de Téhéran. Cela a encore lieu, mais c'est devenu marginal et résiduel.
Comment faut-il interpréter cette réactivation de la police des mœurs?
Il y a en Iran des ultra-radicaux religieux qui sont puissants. Ce sont eux qui ont empoisonné les femmes et les filles dans les écoles il y a quelques mois. Le gouvernement iranien, qui est très conservateur, a besoin de ces gens-là pour gouverner. Il ne peut pas les mécontenter complètement. Donc il les satisfait en disant: «je vais restructurer la police des mœurs avec des moyens technologiques exceptionnels, etc.». Histoire de les satisfaire et de les contrôler en même temps.
Tout en sachant que la police des mœurs ne représente en réalité quelques dizaines de policiers dans un pays, grand, comme deux fois et demie la France et avec 85 millions d'habitants. Oui c’est une police dangereuse et répressive, mais que peuvent ces popliciers contre 40 millions d’iraniennes qui disent «non» ?
À quelles sanctions seront désormais soumises les Iraniennes qui portent mal le voile, par exemple?
Officiellement, la police des mœurs a menacé de mettre des gens en prison ou de les traduire en justice. Mais le ministère de la Justice, qui est opposé à cette politique radicale, a également dit que la police doit faire une réprimande verbale envers la personne mal voilée mais qu’aucune sanction pénale n’est prévue. Dans le détail, on pourra enlever le permis de conduire, on pourra amener quelqu'un au poste, mais ça ne pourra pas dépasser ce niveau de répression, parce que même les membres les plus radicaux du gouvernement ont compris que s'ils allaient trop loin, s'il y avait une deuxième Mahsa Amini, ça irait très mal pour la République islamique.
Cette question du voile divise le Parlement iranien aujourd’hui?
Aujourd'hui, le Parlement, dominé par les conservateurs, est divisé en deux groupes: un groupe très attaché à la tradition avec le général Rezaï, ancien commandant en chef des gardiens de la revolution, qui ne veut pas bouger sur ces questions, et puis un autre plus progressiste avec le président du parlement, le général Ghalibaf, également grand général des gardiens de la révolution. Selon ce dernier, il ne faut pas en rajouter. Il est important pour lui que les femmes portent le voile mais pas dans n’importe quelles conditions.
Et donc il y a une division à l'intérieur du Parlement, entre schématiquement, deux anciens gardiens de la révolution, Ghalibaf et Rezaï. Ces deux personnalités là incarnent les deux courants du conservatisme religieux politique: avec l’un qui dit qu’il faut essayer d’évoluer, et l’autre qui dit si on évolue, on va mourrir.
À quoi peut-on s'attendre pour le 16 septembre, jour de l'anniversaire de la mort de Mahsa Amini?
Tout le monde s'attend à ce qu'il y ait des manifestations. Le gouvernement ne veut surtout pas risquer 500 morts et un nouvel engouement incontrôlable. Et donc, justement, la restructuration de la police des mœurs vise à ce que la répression soit «efficace», c'est à dire ne soit pas mortelle et ne soit pas trop violente. Mais est ce que le République islamique est capable de contrôler sa police? C'est une question que je laisse ouverte.
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