20 ans après, le Darfour s’enfonce à nouveau dans la guerre civile
Entretien réalisé par Alexandra Sirgant – Cité du Vatican
Alors que le Soudan entame son quatrième mois de guerre, les perspectives de résolution du conflit via des négociations s’amenuisent. C’est une véritable guerre d’usure qui s'installe entre les groupes paramilitaires du général Mohamed Hamdan Daglo et l’armée soudanaise, dirigée par le général Abdel Fattah Al-Bourhane. Selon l'ONU, on compte désormais plus de 3 000 morts, 3 millions de déplacés et 700 000 réfugiés.
Ces réfugiés arrivent en nombre au Tchad voisin, où ils témoignent des atrocités vécues au Darfour: pillages, viols, assassinats… Depuis le début du conflit, les regards sont tournés vers la capitale, Khartoum, bombardée quotidiennement, mais c’est dans cette région de l’ouest du Soudan que certaines ONGs craignent désormais la perpétration de nouveaux «crimes de guerre», imputés aux paramilitaires et aux milices arabes alliées.
La Cour pénale internationale (CPI) a annoncé jeudi 13 juillet ouvrir une enquête sur ces crimes de guerre commis à l'encontre de certains civils en rapport à leur appartenance ethnique. La CPI précise vouloir éviter que «l’histoire se répète». Elle avait déjà été saisie en 2005, après une violente guerre civile qui avait fait 300 000 morts.
Négociations au point mort
Plusieurs cessez-le-feu -systématiquement violés dès leur entrée en vigueur- ont été conclus ces derniers mois sous l'égide des États-Unis et de l'Arabie saoudite, mais les médiateurs saoudiens et américains ont ajourné en juin les négociations.
Le 15 juillet, une source gouvernementale annonçait à l'AFP qu'une «délégation des forces armées» était de retour à Djeddah, en Arabie saoudite, «pour reprendre les négociations avec les rebelles des Forces de soutien rapide». Les FRS n'ont fait aucun commentaire sur l'éventuelle reprise des négociations.
Quelques jours plus tôt, les 7 pays voisins du Soudan se sont réunis au Caire en Égypte pour réclamer l’aide des bailleurs internationaux et appeler la communauté internationale à «tenir ses promesses».
Raphaëlle Chevrillon-Guibert est chercheuse à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), également associée au laboratoire du CEDEJ Khartoum. Dans un entretien à Radio Vatican-Vatican News, la spécialiste du Soudan constate l’ampleur de la violence à l’ouest du pays.
Quelle est la situation aujourd’hui au Darfour?
On peut parler de crimes de guerre, certaines ONG parlent même de crimes de génocide contre certains groupes ethniques, notamment les Masalit -un groupe minoritaire non-arabe- qui ont été complètement massacrés dans l’ouest du Darfour. Le problème est que le pays est fermé. Il n’y a presque aucune aide humanitaire arrivant de l’extérieur. Nous avons là un pays sous cloche dont on sait très peu de chose. Les quelques témoignages qui commencent à arriver aujourd’hui sont absolument dramatiques.
Parmi les témoignages recueillis par les ONGs, il y a ceux des réfugiés qui arrivent au Tchad, pays voisin du Soudan et de cette région du Darfour. Ils racontent avoir été pris pour cible à cause de leur appartenance à certaines communautés. Est-ce une nouvelle guerre ethnique qui commence, sorte de guerre dans la guerre?
Il faut se souvenir que dans les années 2000, il y avait eu cette fameuse dite «guerre» au Darfour. Elle-même ravivait des tensions en cours depuis les années 1980. En 2000, on a donc à nouveau un embrasement avec des lignes de clivages qui opposent les groupes arabes aux groupes non-arabes. Mais dans cette région du Soudan, il y a une diversité ethnique très forte, avec des alliances qui vont en temps normal aller au-delà de ces clivages ethniques. Sauf en temps de guerre: quand il s’agit de se défendre, ces tensions reviennent!
Ce qui est en train de se passer avec les Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdan Daglo dit «Hemetti». Elle se sont installées au Darfour dans les années 2010, durant la dictature d’Omar Al-Bachir, et étaient alors une force reconnue par l’État. Ces forces ont mené la contre-attaque lors du conflit en 2000.
Mais aujourd’hui, les FSR détruisent tout sur leur passage, en tout cas tout ce qui appartient aux groupes qui pourraient leur être opposés, c’est-à-dire, principalement des groupes dit non-arabes.
Comment intervient aujourd’hui l’armée soudanaise au Soudan?
Les bombardements de l’armée sont pour l’instant concentrés sur la capitale. Il y a peu de combats au sol entre armée et FSR. Au Darfour, l'on constate une prise de contrôle totale de la région par les FSR. C’est d’ailleurs peut-être une stratégie pour s'assurer que, dans le cas où les paramilitaires ne remporteraient pas la bataille à Khartoum, ils puissent s’installer durablement au Darfour.
Quels sont les risques de déstabilisation pour les pays voisins?
Les pays comme le Soudan du Sud ou comme le Tchad accueillent depuis le début du conflit des milliers de réfugiés soudanais fuyant la guerre, alors qu’eux-mêmes sont très déstabilisés et ont peu de ressources.
S’ajoute à cela la problématique de ce conflit identitaire entre arabes et non-arabes en cours au Darfour. Cette problématique existe aussi dans les pays voisins. La reprise des violences au Darfour risque d'aggraver les tensions au Tchad ou en Libye. Le risque d'embrasement existe.
Comment expliquer l'absence d'intervention des pays occidentaux dans le conflit?
Certaines diplomaties ont joué un double jeu avec le Soudan. Il y a eu, d’un côté, l’engouement pour le caractère démocratique de la transition en 2019, après la destitution d’Omar el-Béchir. De l’autre, de nombreux pays ont fermé les yeux sur le fait que les militaires ont ensuite repris le pouvoir en 2021, car c’est avec ces mêmes militaires que des accords de sécurité migratoire ont été conclus.
Ces accords visaient à contrôler l’entrée des migrants de la Corne de l'Afrique qui transitaient en Libye. Ce sont les fameux FSR qui ont été créées pour ce contrôle! Aujourd’hui, les pays occidentaux, notamment européens, ont probablement du mal à se positionner car cela voudrait dire assumer qu’ils se sont trompés. Cela voudrait dire reconnaître qu'ils s'étaient alliés è l’époque avec ces forces-là. Ces forces qui martyrisent le pays aujourd’hui.
Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici