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Des civils arméniens fuyant par le couloir de Latchine, le 27 septembre 2023. Des civils arméniens fuyant par le couloir de Latchine, le 27 septembre 2023.   Les dossiers de Radio Vatican

L'exode continu de milliers d'Arméniens du Haut-Karabagh

Alors que les civils fuient par dizaines de milliers l'enclave sous contrôle de l'Azerbaïdjan, retour sur les ressorts de ce conflit qui rappelle des heures sombres au peuple arménien.

Entretien réalisé par Olivier Bonnel - Cité du Vatican

Les Arméniens vivent de nouveau une sombre période de leur histoire avec l’évacuation en cours de la province du Haut-Karabakh qu’ils disputaient à l’Azerbaïdjan. Mercredi 27 septembre à la mi-journée plus de 50 000 civils, soit plus du tiers de la population, avaient déjà fui l'enclave. Après l’offensive-éclair de la semaine passée contre les combattants arméniens, Bakou a désormais les coudées franches pour assurer le contrôle de ce territoire. Les familles qui fuient la région témoignent avoir quitté une terre qu’ils ne retrouveront jamais. Dans les zones déjà reprises après la guerre de 2020, une grande partie du patrimoine culturel et spirituel arménien a été détruit par l’Azerbaïdjan.

Une tragédie qui rappelle les aléas du peuple arménien depuis plus d’un siècle, marqué par le génocide turc de 1915, mais aussi par une histoire du Caucase compliquée où, au gré de la formation des empires les Arméniens ont été une «variable d’ajustement». Retour sur cette histoire complexe et l’impuissance des autorités arméniennes actuelles, avec Claire Mouradian, directrice de recherche émérite au CNRS, spécialiste de l’Arménie et du Caucase.

Les événements des derniers jours dans le Haut Karabagh mettent une nouvelle fois en lumière l'incompatibilité des positions entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan autour de frontières contestées depuis la chute de l'Union soviétique...

Les habitants du Haut-Karabagh sont les héritiers de très anciennes principautés, qui ont été souvent autonomes ou indépendantes, et ont très souvent aussi été placées sous l'hégémonie d'une des puissances régionales. Pendant longtemps, cela a été la Perse, puis la Russie, avec une concurrence, de l'autre côté, à l'ouest, de l'Empire ottoman, puis de la Turquie. Les habitants de cette région sont en majorité Arméniens, ils étaient Arméniens à 95% au début du XXᵉ siècle lorsqu'ils ont revendiqué leur autonomie même déjà lors de la révolution de 1905.

Déjà pendant l'Empire russe, les Arméniens contestaient les découpages administratifs et régionaux. Tous les empires ont fait leur propre délimitation administrative afin de diviser pour mieux régner. Donc il y a eu aussi des dominations administratives persanes, puis russes qui ont changé à plusieurs reprises et à l'époque, il faisait partie du gouvernorat d'Elisavetpol (1868-1920) dont la capitale de l'époque est la ville de Gandja (Azerbaïdjan). Ils ont demandé que leur région soit rattachée au gouvernorat d'Erevan, qui correspond grosso modo à l'actuelle Arménie.

Comment expliquer la position du gouvernement de Nikol Pachinian face qui d'ailleurs a suscité de nombreuses réactions chez les Arméniens?

Il y a eu des manifestations à Erevan, mais l'Arménie elle-même est en situation difficile. Elle n'est pas confrontée seulement à l'Azerbaïdjan dans son soutien à la revendication du Karabagh, elle est confrontée aussi à la Turquie, grande puissance de l'OTAN. Lors de la guerre de 2020, la Turquie a largement participé, a fourni des armements, des experts, a envoyé des djihadistes de Syrie pour soutenir l'Azerbaïdjan. Mais elle est aussi confrontée à la pression de la Russie qui a été au minimum passive, sinon active dans son alliance en ce moment avec la Turquie. Rappelons que l'Azerbaïdjan est utile pour notamment contourner les sanctions européennes dans le contexte de la guerre en Ukraine, puisqu'une partie du gaz russe et du pétrole russe s'écoule par le biais de son territoire. 

L'Arménie fait les frais des ambitions géopolitiques des grands voisins régionaux...

Totalement, mais d'une façon générale, tous les peuples de la région font les frais des ambitions des puissances régionales et accessoirement des puissances internationales et des intérêts des puissances internationales. Ces populations sont des "variables d'ajustement". En ce moment, l'Arménie, qui est en situation de faiblesse, n'a pas grand-chose à offrir en matière de ressources, notamment de ressources en hydrocarbures. C’est un tout petit territoire. L'Arménie est d'ailleurs un territoire résiduel de l'ancienne Arménie même. Lors du traité de Sèvres en 1920 (entre les Alliés et l'empire Ottoman, ndlr), les contours du pays avaient été dessinés mais c'est le quart aujourd'hui de ce qui avait été considéré comme territoire arménien.

Les Arméniens qui fuient par dizaines de milliers le Haut Karabakh dénoncent un nouvel épisode dans une longue histoire de persécutions. Que faut-il penser de cette position et de la relative indifférence des Occidentaux?

Le président azerbaïdjanais Aliyev a déclaré ouvertement qu'il allait chasser les Arméniens de la région. Les discours de haine sont publics, on peut les voir déjà à travers les événements de 1915. Vous savez, le génocide s'est déroulé à la fois par des massacres, des déportations organisées de masse, et l'exode est un outil du processus génocidaire. Là, lorsque l'on parle "d'évacuation humanitaire", c'est aussi une façon de pousser les gens à partir. Des gens qui depuis huit ou neuf mois, sont affamés, ont été privés d'électricité, de ravitaillement, de médicaments, sont affaiblis et sont sous la pression des armes. À un moment donné, ou bien ils meurent au combat ou de faim, ou bien ils quittent le pays. C'est une façon de les chasser de leur territoire. Le nettoyage ethnique n'est pas simplement seulement une projection de l'esprit ou un procès d'intention, il est affiché.

L'enjeu, c'était déjà de couper le Karabakh de l'Arménie en récupérant ce fameux corridor de Latchine, qui était déjà demandé lors de la première guerre dans les années 1988, 1992-1993, et de récupérer au sud ce qu'on appelle le corridor du Zangezur, qui permet d'assurer une continuité territoriale avec l'espace turc. 

Le 5 octobre prochain, un sommet a été annoncé par l'Arménie entre les autorités arméniennes azerbaïdjanaises avec la France, l'Allemagne et l'Union européenne. Que peut-on attendre de ce genre de rencontres?

Le nombre de rencontres qu'il y a eu depuis 1994 me rend sceptique. Même quand il y a des accords, ils ne sont pas respectés. Je ne vois pas maintenant ce qui va changer du côté de l'Azerbaïdjan qui est totalement en position de force, sauf peut-être les retenir d'attaquer plus directement l'Arménie.

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27 septembre 2023, 15:21