Les réfugiés du Haut-Karabagh contraints de repartir de zéro
Xavier Sartre – Cité du Vatican
En quelques heures, les habitants du Haut-Karabagh ont vu leur monde s’écrouler. Pendant une trentaine d’années, ils ont vécu dans un territoire indépendant de fait, au sein d’une République de l’Artsakh qui tenait en respect l’Azerbaïdjan qui revendiquait leur territoire depuis sa défaite au terme d’une première guerre avec l’Arménie, en 1994. Mais en septembre de cette année, l’Azerbaïdjan a mené une offensive éclair qui a emporté le peu de résistance que cet État, jamais reconnu par la communauté internationale, avait encore.
Le 20 septembre, les autorités de Stepanakert, la capitale du Haut-Karabagh, ont accepté de déposer les armes avant d’annoncer leur dissolution à compter du 1er janvier 2024. Pour la population, déjà très éprouvée par près de dix mois de blocus imposé par l'Azerbaïdjan qui l'a privée de ravitaillement en nourriture et en médicaments, c’est un coup de massue. L’exode commence, nourrie par la crainte d’un nettoyage ethnique de la part de troupes azerbaïdjanaises perçues comme revanchardes. Des colonnes de voitures s’allongent sur les routes, direction l’Arménie. Les familles emportent ce qu’elles peuvent, laissant la plus grande partie de leurs biens derrière elles.
Tout quitter à la hâte
L’Arménie voit donc affluer environ 120 00 personnes en l’espace de quelques jours à peine et le gouvernement pare au plus pressé. «Quand les réfugiés sont arrivés à la frontière arménienne, ils se sont rendus dans des centres d’enregistrement mais cette route fut difficile à parcourir parce qu’ils avaient besoin d’essence et que les Azerbaïdjanais leur en ont donnée très peu», raconte Christina Petrosyan, une jeune avocate spécialiste des droits de l’Homme, présidente d’une ONG “Culture légale”. Avec des amis, elle tente bénévolement d’apporter un peu de réconfort aux familles qui passent la frontière par Goris et Vayk.
«Beaucoup de gens venus en voiture ont dû s’arrêter avant la frontière par manque d’essence. Ils ont continué à avoir faim pendant encore un jour et une nuit. Quand ils sont arrivés aux postes de contrôle, le gouvernement et la Croix-Rouge leur ont donné des vêtements» poursuit-elle.
«La première chose dont ces gens ont besoin, c’est d’un logement, explique Christina. Le gouvernement arménien en donne gratuitement près de la frontière mais les gens n’en veulent pas car ils ont peur d’une nouvelle attaque de l’Azerbaïdjan. Ils ne veulent pas se retrouver dans une zone de guerre. Et les conditions sont vraiment médiocres», reconnait-elle. Outre un logement et une carte téléphonique, les autorités arméniennes donnent cent mille drams par personne, l’équivalent de 227€. Elles ajoutent 50 000 drams s’ils sont contraints de payer un logement. Une aide prévue pour une période de six mois. Les services sociaux tentent aussi de trouver un emploi à ces réfugiés.
Traumatisme mental
Mais l’assistance matérielle ne saurait être suffisante, tant le traumatisme de ces familles est grand. «Leur état mental est horrible, vraiment horrible, reconnait Christina Petrosyan. Quand je suis allée les voir dans leur nouveau logement pour essayer de leur apporter de l’aide, de la nourriture ou des vêtements, j’ai vu des gens qui sont arrivés ici avec juste une chaussure parce que quand ils ont été attaqués par les Azerbaïdjanais, ils n’ont pas eu le temps de prendre l’autre… Beaucoup de gens n’ont pas pu prendre non plus leurs diplômes, la preuve qu’ils travaillaient pour quelqu’un. Maintenant c’est difficile pour eux de prouver leur expérience professionnelle».
Même problème pour les jeunes: «c’est dur aussi de prouver qu’ils allaient à l’université car ils n’ont pas eu le temps de préparer correctement tous leurs documents, poursuit l’avocate. Ces gens pouvaient avoir de bonnes positions, faire de bonnes études et maintenant ils n’ont plus rien, ils sont gênés, ils sont en état de confusion, ils sont malheureux, déprimés. Une femme n’a pas dormi depuis plusieurs jours. Beaucoup d’autres ont des problèmes physiques. Ils ont besoin de soins médicaux et mentaux» explique-t-elle.
Entre espoir de retour et de paix
Même s’ils sont maintenant en Arménie, le sentiment de peur ne les a pas abandonnés. «Ils sont prêts à pleurer à chaque instant» confie Christina Petrosyan, qui prend le temps d’écouter leurs histoires. En fait, «ils ont très peurs comme toutes les personnes vivant en Arménie d’une nouvelle attaque militaire de l’Azerbaïdjan. Il y a eu des échanges de tirs ces derniers jours, explique-t-elle. Ils ont peur aussi d’une grande guerre avec la Turquie ce qui serait leur pire cauchemar et craignent que cette guerre ne soit pas la dernière, et que celle qui viendra sera encore pire, alors qu’ils en ont déjà vécues trois.»
Malgré tout, certains ont l’espoir de rentrer chez eux, que les Azerbaïdjanais quitteront le Haut-Karabagh. «Je sais que ce n’est pas rationnel mais à chaque fois que je parle avec eux ils m’en parlent. C’est vraiment dur, vous ne pouvez même pas comprendre ou expliquer comment la plus grande partie de votre vie ne signifie plus rien maintenant et que vous devez recommencer de zéro. Ils sont vraiment brisés mentalement et physiquement, et financièrement». Autre espoir: vivre en sécurité. Et croire que «l’Europe et le monde occidental ne détourneront pas les yeux et qu’ils les aideront réellement malgré leurs liens avec l’Azerbaïdjan.»
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