Rabbin David Meyer: «Il faut éviter de jeter de l'huile sur le feu»
Olivier Bonnel - Cité du Vatican
Croisé à Rome lors du Congrès international sur les archives déclassifiées du pontificat de Pie XII, dont il fut l'un des intervenants, le rabbin David Meyer est l'une des personnalités les plus influentes du courant juif libéral français et européen. Auteur de nombreux ouvrages, il est professeur de littérature rabbinique et de pensée juive contemporaine à l’Université pontificale grégorienne de Rome. En 2008, il publie l'ouvrage La vie hors la loi-est-il possible de sauver une vie? (Ed. Lessius), rappelant notamment combien la sauvegarde de la vie se trouve au cœur de l'expérience historique du peuple juif.
Le déchaînement de violence meurtrière commise le 7 octobre dernier par le Hamas contre des Israéliens et des juifs en particulier l'a profondément ébranlé. Il nous confie sa réflexion sur ce que signifient ces actes terroristes et la difficulté de se projetter pour la paix à l'avenir.
Il y a bien évidemment la réalité du drame humain, la réalité du deuil absolument infini dans lequel on est, qui fait que, évidemment, on a tendance à réagir avec ses tripes et je le sens moi-même. Mais je me dis que comme rabbin, il ne faut pas réagir avec ses tripes. Il faut essayer de poser un regard un peu plus distant, même si on se sent tellement proche. Pour quelqu'un comme moi de très engagé pour la paix, pour essayer de trouver des solutions en vue du dialogue, les événements nous font prendre un coup extrêmement dur.
L'on a été face à la recréation d'un pogrom en plein XXIe siècle, quelque chose que l'on pensait appartenir à un passé radicalement révolu. Nous pensions aussi que l'État d'Israël était l'endroit du "plus jamais ça". Cela ne veut pas dire plus jamais de morts juifs, nous savons bien qu'il y en a, mais cela veut dire plus jamais de situation dans laquelle les juifs sont impuissants. Or, ce qu'il s'est passé et ce qui va ébranler la société israélienne est que d'un seul coup, les juifs israéliens sur le terrain se sont retrouvés seuls, donc dans une dimension et dans une mémoire qui renvoie évidemment aux pogroms, mais qui renvoie aussi d'une certaine façon à la Shoah par cette absence de capacité à réagir et à protéger.
Ce cycle infernal de la violence semble être un piège pour tout le monde...
Évidemment, l'autre traumatisme est que nous connaissons la réponse militaire. Les réponses militaires de ce genre-là créent aussi leur propre destruction. C'est inévitable car lorsque l'on a le sens de la valeur de la vie, c'est la vie en général qui a une valeur, pas juste la sienne. Nous sommes donc pris au piège de cette réalité, cette obligation d'une réponse. Il faut cette réponse, moi je ne suis pas pacifiste dans ce sens là, il faut bien répondre, il faut faire ce qu'il faut faire, mais en même temps, cela crée une situation qui va être catastrophique, humainement épouvantable et éthiquement problématique, surtout lorsque l'on n'a plus aucune perspective en disant mais que faire? Est-il possible que ce conflit n'ait pas de solution? Nous ne pouvons pas accepter simplement que ce conflit se résume à la loi du plus fort et qu'elle voit les religieux modérés.
Les religieux qui souhaitent la paix peuvent-ils la porter aujourd'hui dans un moment aussi tendu et violent?
Je pense qu'il faut attendre un peu parce qu'aujourd'hui nous ne sommes pas capables de la porter. Nous avons nos défaillances humaines qui font que l'on est pris là-dedans. On peut ceci-dit éviter de jeter de l'huile sur le feu. C'est la première chose à faire avec des déclarations vengeresses qui n'ont absolument pas leur place ni dans la politique d'un pays démocratique, ni évidemment dans le judaïsme. Maintenant, je pense que la grande grande difficulté à laquelle on est confronté, c'est qu'il est facile pour une religion d'avoir une posture idéologique. On peut être pieux de façon idéologique, on peut parler de la paix, on peut parler de la coexistence, on peut parler d'un partage, on peut parler de deux États, on peut parler de tout ce que l'on veut.Le problème, c'est qu'il faut, tout en parlant de cela, intégrer la réalité de l'histoire. Aujourd'hui, la réalité de l'histoire est que nos ennemis se sont comportés comme des barbares absolus. Ça il faut aussi l'intégrer à la pensée.
Il faut donc retrouver une pensée religieuse qui intègre la dimension réelle du conflit et de l'histoire pour rester embrayés sur le réel. Ce sont des discussions et des réflexions difficiles, surtout lorsque le réel change. Plein d'idées existent, mais cela suppose avoir un partenaire. À partir du moment où l'on est face à un pogrom, où l'on est face à des gens qui se sont comportés vraiment d'une façon au-delà de toute description, et que donc il n'y a pas de partenaire à ce niveau-là, quid des solutions?
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