Israël-Hamas, la guerre des récits
Entretien réalisé par Alexandra Sirgant – Cité du Vatican
Comme souvent en période de conflit, cette guerre au Proche-Orient se joue également sur le terrain des médias. L’information vérifiée est dure à obtenir dans la bande de Gaza, l’accès à l’enclave palestinienne étant verrouillé par Israël, et sous le contrôle du Hamas.
L’explosion meurtrière à l’hôpital Al-Ahli à Gaza le 17 octobre témoigne du parti pris de chaque camp de la livraison de l’information. Des centaines de morts sont alors annoncés par le Hamas, et le bilan est relaté tel quel par certains médias occidentaux et arabes, ainsi que sur les réseaux sociaux, avant un démenti d’Israël quelques heures plus tard. Le nombre de morts est en réalité moins important et un flou demeure autour de la responsabilité de cette frappe ayant touché le parking de l’hôpital.
Parallèlement, presque un mois après l’offensive meurtrière menée par le Hamas dans le sud d’Israël, le gouvernement israélien investit dans des pubs, diffusées sur YouTube, pour justifier l’offensive meurtrière sur Gaza. Elle sont pour la plupart à destination de pays étrangers, notamment la France.
C’est une guerre de récits qui se joue, et Israël est pour l’instant perdante selon le chercheur Ouzi Elyada, historien et professeur au département de communication à l’université de Haïfa en Israël, spécialiste de l’histoire des médias israéliens.
Comment est-ce que vous caractériseriez cette guerre communicationnelle ?
La particularité de la campagne [médiatique] actuelle est l'incapacité pour les journalistes d'accéder aux lieux des évènements. La bande de Gaza est complètement fermée. On est donc complètement dépendant des images transmises à la fois par la presse palestinienne, c’est-à-dire les journalistes palestiniens qui sont dans la bande de Gaza, et des images des porte-parole militaires israéliens. Autrement dit, il y a un double récit qui se déroule actuellement entre le récit israélien qui compare ce qui s'est passé le 7 octobre à la Shoah, et de l’autre côté, la représentation des massacres commis par l'aviation israélienne contre les Palestiniens. Ceci résume l'essentiel de cette guerre de communication qui se déroule depuis des années, mais à la différence d’il y a dix ans, elle ne se déroule pas par la télé, mais sur les réseaux sociaux comme Instagram ou Telegram.
Qu'est-ce que les réseaux sociaux changent, selon vous?
L'attaque du Hamas n’a été planifiée hier mais depuis au moins dix ans. Et c’est une double attaque. Elle est physique, militaire, mais c’est aussi une attaque sémiotique ou médiatique, car des centaines de soldats du Hamas étaient [le 7 octobre] munis de caméras GoPro, placés sur leurs têtes, pour filmer les massacres et les transmettre en direct à la population israélienne à travers les réseaux. C’est une technique pour semer le désordre et la panique par la diffusion des images en direct des massacres des civils.
On peut diviser cette guerre de la communication entre Israël et le Hamas en deux parties: la première partie, c'était l'usage des réseaux sociaux lors des massacres du 7 octobre.
La deuxième phase de la guerre des médias a commencé après le 7 octobre et se déroule encore aujourd’hui avec le Hamas qui se sert des images des résultats des bombardements israéliens pour se défendre. En diffusant des images d’enfants morts, de femmes blessées et de la moitié de Gaza rasée, le Hamas tente d’empêcher le pénétration terrestre de l’armée israélienne dans l’enclave.
Comment est-ce que vous décririez la réponse d'Israël sur le plan médiatique?
De l'autre côté, Israël lutte pour créer sa propre légitimité en amplifiant la diffusion des images catastrophiques et horrifiques des massacres de 7 octobre. Il y a d’abord eu l’organisation le 11 octobre de visites des journalistes dans les kibboutz [où on eut lieu l’offensive du Hamas]. Le 23 octobre, l’armée israélienne a fait une sorte de synthèse de 40 minutes des images de vidéosurveillance et des images caméras des assaillants du Hamas pour qu’elle a projeté devant des journalistes étrangers à Tel-Aviv.
En effet, les massacres des juifs dans les kibboutz ont eu lieu le 7 octobre, mais il n’y a pas eu de suite, tandis que les bombardements de Gaza continuent. Dans la logique, de la presse à sensation et des médias sensationnels sur laquelle je travaille, dès que vous avez un événement avec un suivi qui fournit chaque jour des nouvelles images d'horreur, cela nourrit la machine médiatique.
Alors, puisqu'Israël ne peut pas fournir de nouvelles informations, elle recycle celle qui date du 7 octobre, tandis que les Palestiniens publient chaque jour de nouvelles informations, certains étant fausses. Israël, par définition, est perdante dans cette guerre de communication.
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