Ishaïe Dan: «Il n'est pas question de revanche mais que les otages reviennent»
Olivier Bonnel-Cité du Vatican
Le 7 octobre, la vie d'Ishaïe Dan a basculé, comme pour tant d'autres Israéliens. Ishaïe, dont le nom de famille est issu de l'une des douze tribus d'Israël a vécu de plein fouet l'attaque terroriste des miliciens du Hamas. Dans son kibboutz de Nir Oz, dont il est l'un des fondateurs, comme dans les environs, sa belle-soeur Carmela, 80 ans a été égorgée tout comme sa petite-fille Noïa, âgée de 12 ans. Son neveu, Ofer Kalderon 53 ans a lui été enlevé et emmenés dans la bande de Gaza avec ses deux enfants, Sahar 16 ans et Eretz, 12 ans. Aujourd'hui, comme toutes les familles d'otages, Ishaïe ne sait pas si ses proches sont encore en vie, mais s'accroche à l'espoir.
Militant de gauche, comme de nombreux habitants des kibboutzim du Sud d'Israël, Ishaïe a toujours eu de bonnes relations avec les Gazaouis. Durant des années son frère Uri, dont la femme a été assassinée a fait venir des Palestiniens de l'enclave pour qu'ils puissent se faire soigner dans des hôpitaux israéliens. Aujourd'hui tout ce monde a volé en éclat, mais la volonté de dialogue reste forte pour ce franco-israélien. Depuis plusieurs semaines, Ishaï est en France pour sensibiliser à la cause des otages. Avec son cousin Ange Dan Kalderon, il a rejoint le collectif du 7 octobre qui souhaite garder une attention sur le sort des plus de 230 otages. Les deux hommes ont été reçus il y a quelques jours par le nonce apostolique à Paris, Mgr Celestino Migliore, qui leur a manifesté le soutien du Saint-Siège et l'attention à leur douleur.
Quelques heures avant que le Pape François ne reçoive des familles d'otages israéliens, Ishaï Dan nous a confié son état d'esprit et sa volonté que les combats cessent à Gaza pour que ses proches puivent avoir une chance d’être sauvés.
Ce que je veux entendre, c’est que le Pape dise qu'il est avec nous, qu'il comprend la souffrance des otages. Je sais qu'il la comprend, mais je veux l'entendre moi-même. Je veux aussi que le monde comprenne qu’un homme aussi important pour les chrétiens et les croyants est avec nous, que l’on comprenne que nous sommes ensemble face à ce terrorisme qui est atroce. J’ai entendu la même chose lors d’une réunion avec des musulmans, où trois imams très aimables nous ont serré la main quand on leur a raconté ce qui s'est passé.
Pour comprendre ce que vous venez de nous dire, il est important de rappeler que la plupart des otages étaient des gens très engagés pour la paix, connaissaient des gens à Gaza. Est-il important, malgré cette horreur pour vous, de continuer à garder le contact, à continuer à dialoguer?
Si c'est une question, c'est une mauvaise question parce que je veux continuer à dialoguer. Il ne s’agit pas d’une question de revanche, je n'aime pas du tout ce sentiment. Ce que je veux?
Qu’Israël cesse de bombarder et que l’on continue à pied pour trouver les otages d'abord. Quand je vois la souffrance des enfants de Gaza, celle des Gazaouis, c'est terrible, ce n’est pas une chose dont je suis heureux, je ne peux pas danser alors qu’ils souffrent. Pendant les 20 dernières années, mon frère emmenait des malades de Gaza à l'hôpital israélien à Jérusalem et à Tel-Aviv et les faisait rentrer à Gaza parce qu'ils ne pouvaient pas venir tout seuls. Comme c’était trop cher pour eux, c'est le kibboutz qui payait tout. Et mon frère n'était pas le seul à faire cela d'ailleurs.
Le Hamas veut la libération de tous les prisonniers palestiniens en échange des otages détenus dans la bande de Gaza. Êtes-vous favorable à cela?
Si vous me demandez mon avis et l'avis de la plupart des familles, la question est oui, mais avec un point d'interrogation. La vie des otages et à mon avis est ce qu’il y a de plus important maintenant, même avant de continuer la guerre contre le Hamas. S’ils veulent tous les terroristes qui sont en prison, ils doivent les rendre. On doit leur donner, ce n'est pas la question. Mais, si vous voulez la vérité, je ne crois pas qu'ils vont nous libérer les otages, ça c'est une autre question. Le Hamas veut seulement donner à chaque fois dix personnes, en les faisant passer par l'Egypte. Ma fille et Noam a été à Athènes pour parler avec le délégué de l’émir du Qatar. Il lui a dit que la difficulté, c'est qu'ils (les membres du Hamas) veulent tous les terroristes prisonniers.
Nous, familles, disons que l’on pourrait libérer avant tout les enfants et les femmes qui sont dans les prisons israéliennes, et après demander de libérer les autres prisonniers, mais les autorités israéliennes ne veulent pas en entendre parler, ils veulent laisser les hommes. Mais nous, parmi nos proches, nous ne savons même pas pas qui est vivant.
Vous avez évoqué le gouvernement israélien. On a senti la colère des familles des membres kidnappés du 7 octobre, colère après l’horreur des attaques mais aussi colère parce que la question des otages ne semble pas être aujourd'hui la priorité du gouvernement israélien. Quel contact avez-vous du côté des autorités israéliennes et qu'est-ce que vous attendez d'elles?
On continue à être contre ce que fait l'armée israélienne à Gaza. Après, nous ne savons pas exactement ce que font les services secrets, ceux qui essayent de nous aider. On ne sait pas. On est très en colère. Je n’ai pas de problème pour dire que l’on a malheureusement l’habitude que quand notre Premier ministre dit quelque chose, cela peut être le contraire, mais cette fois, il s’agit d’une question de vie et de mort pour les enfants, pour les enfants de mon frère. Je ne sais pas si je suis capable d’entendre autre chose que «on va d'abord faire revenir les otages et après on va continuer la guerre avec le Hamas». Le Hamas ce n’est pas des musulmans, le Hamas ce ne sont pas des êtres humains, ce sont des machines à «hacher la viande des êtres humains». J'ai peur pour ma Sahar, qui a 16 ans et qui est là-bas.
Beaucoup de personnalités et de pays appellent à un cessez-le-feu dans la bande de Gaza, face à la destruction causée par la riposte israélienne. Ce cessez-le-feu est-il nécessaire pour faire avancer le dossier d'une libération prochaine des otages?
Oui, oui et oui. Même si je sais qu’un cessez-le-feu que peut donner un avantage au Hamas, notamment dans le sud de Gaza, qui n'est pas encore pris. Mais je veux montrer notre bonne volonté, montrer que on peut faire le cessez-le-feu et leur dire «rendez-nous les otages, c'est tout». S’ils nous donnent les otages, on pourra montrer au monde que quand même, ils ont quelque chose d’humain. Mais je vous dis d'avance que je ne crois pas qu'ils peuvent donner ça. Je ne crois pas que Benyamin Netanyahou souhaite un cessez-le-feu, parce qu’il a intérêt que la guerre continue. C'est ce que je pense. (le premier ministre israélien fait de la libération des otages un préalable à tout cessez-le-feu, ndlr).
J’aimerais que l’on comprenne qu’il ne s’agit pas que d’une question de guerre. Ce que le Hamas a fait, c'est terrible pour l’humanité et cela reste terrible pour toutes les croyances, même en Israël. J'ai beaucoup d'amis arabes, des arabes chrétiens, des arabes musulmans: ils sont contre ce que fait le Hamas! Ce n’est pas possible de croire que cela a été fait d'après le Coran.
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